Actualité

L’État contre le peuple

Par Roméo Bouchard le 2019/01
Image
Actualité

L’État contre le peuple

Par Roméo Bouchard le 2019/01

Les Gilets jaunes n’ont pas fait la prochaine révolution, mais ils l’ont commencée. Ils ont fait une brèche dans la légitimité du système économique et politique en place partout dans le monde, une brèche qui ne pourra plus se refermer.

En ralliant le large éventail des gagne-petit, sur tout le territoire de la France, dans des regroupements locaux autonomes appuyés par 80 % de la population, ils ont donné un visage et une voix au peuple qui, selon les mots de Onfray, « subit le pouvoir sans jamais l’exercer ».

En contestant l’injustice d’une transition écologique qui se fait sur le dos des plus mal pris, ils ont mis au grand jour, comme aucun autre mouvement auparavant, les inégalités sociales et le détournement fiscal intolérables que génère le système économique et politique actuel.

En refusant d’utiliser les mécanismes de représentation reconnus par les partis politiques et la société civile, et en choisissant la démocratie directe, ils ont remis à l’avant-scène le principe de la souveraineté du peuple et de la prédominance de sa légitimité sur celle des représentants qui exercent le pouvoir.

En un mot, ils ont ébranlé les fondements politiques de plus de deux siècles de démocratie représentative crypto-monarchique, sous contrôle étroit de la bourgeoisie capitaliste.

La révolution est un processus

Ce n’est que le début. On sentait venir cette révolution depuis quelques années : ce système politico-économique, géré par les grands actionnaires et les grandes banques, qui enrichit un groupe de plus en plus restreint d’individus au détriment de la masse et génère un peu partout des despotismes, des discriminations, des dérèglements écologiques et des inégalités sociales intolérables, allait finir par éclater.

Le printemps arabe, la crise grecque, la crise des migrants, les mouvements d’indignés Occupy et Debout, qui ont stigmatisé le 1 % des riches, avaient été des alarmes, mais jamais ces mouvements n’avaient revêtu le caractère populaire des Gilets jaunes, même pas Mai 68 ni surtout le printemps érable. Jamais les indignés n’avaient paralysé l’État et les groupes intermédiaires en s’attaquant aussi efficacement à leur légitimité : ils étaient toujours demeurés le fait de secteurs plus ou moins marginaux, dans les grandes villes universitaires, chez les jeunes ou les instruits, et leur contestation s’était essentiellement concentrée sur des revendications sectorielles ou le « dégagisme ». Jamais ils n’avaient mis en place les bases d’un pouvoir populaire fondé sur la souveraineté du peuple et des communautés locales, sur le référendum d’initiative populaire et le processus constituant. Jamais ils n’avaient invalidé aussi systématiquement les pouvoirs en place : le pouvoir des élus, des partis politiques, des syndicats, des groupes corporatifs, des patrons, et même des écologistes professionnels.

Beaucoup, ici comme en France, parmi les politiciens, les partis politiques, les syndicats, les groupes citoyens même, sont restés silencieux ou sceptiques face aux Gilets jaunes : une révolte aveugle, infiltrée par les casseurs, les partis populistes d’extrême droite comme d’extrême gauche, sans leaders, sans organisation, sans représentants, sans revendications cohérentes, qui ne pouvaient que se terminer en queue de poisson et devenir la cible des forces de répression de l’État et du patronat. Cette insurrection spontanée ne pouvait qu’échouer et donner lieu au retour en force des pouvoirs en place ou des organisations populistes.

Force est d’admettre que les Gilets jaunes les ont tous fait mentir. Leur force a été précisément leur refus de passer par les canaux conventionnels de représentation, d’être incontrôlables, de s’attaquer à tout en même temps, de refuser la médiation du gouvernement, des partis politiques et des organisations civiles.

Tout sauf un échec et un feu de paille

On dira que le mouvement est pratiquement terminé. Rien n’est moins sûr. Les concessions consenties par Macron (10 milliards), même si elles ne s’attaquent pas encore à l’essentiel, mettront sérieusement à mal les budgets de l’État et ses engagements à l’égard de l’Union européenne. En exigeant des mécanismes de démocratie directe plutôt qu’une élection générale qui n’aurait rien changé au système, comme le préconisaient Le Pen et Mélenchon, les Gilets jaunes ont gardé l’initiative de la guerre et soumis les manœuvres de concertation proposées par Macron à leur bon vouloir. Ils ont évité les combats inutiles contre la police et ont placé Macron en garde à vue, traqué comme une marmotte dans son trou. Ils auront le loisir de reprendre la rue n’importe quand si les choses ne vont pas à leur goût. L’État de démocratie directe n’est pas levé ni oublié. Juste une trêve bien compréhensible d’ailleurs. La brèche ne se refermera pas : elle va s’élargir là et ailleurs… et au Québec le moment venu.

Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que la révolution enclenchée est une vraie révolution, une révolution démocratique : démocratisation du pouvoir politique, démocratisation de la richesse, démocratisation de la transition écologique. D’emblée, tous les partis politiques sont au premier rang des accusés.

Il en aura fallu du temps pour réaliser qu’on ne pourra rien changer si on ne redonne pas aux citoyens le contrôle des décisions collectives!

Partager l'article

Image

Voir l'article précédent

Appel de textes janvier-février 2019

Image

Voir l'article suivant

Lettre à Marcel Groleau, président de l’UPA