
En 2018, Mémoire d’encrier fêtait ses 15 ans. Le Mouton Noir a rencontré Rodney Saint-Éloi, écrivain, poète, essayiste et fondateur de la maison d’édition montréalaise à l’occasion du Salon du livre de Rimouski.
Combattre le racisme
« L’édition, c’est la mise en action d’une pensée, d’une intelligence du monde, affirme Rodney Saint-Éloi. Ensuite, il s’agit de réunir autour de toi des complices pour que ça devienne un mouvement. Mémoire d’encrier permet d’ouvrir des fenêtres. C’est fondamental pour moi. Il s’agit de créer une cartographie beaucoup plus grande que ma propre personne. Mémoire d’encrier est une maison qui ne m’appartient pas. Ça appartient à Joséphine Bacon* beaucoup plus qu’à moi. » En effet, la solidarité est indispensable pour aller de l’avant. L’altérité aussi : les autres comptent, la vie des autres compte. Pour le poète, qui avait déjà fondé la maison d’édition Mémoire en Haïti, Mémoire d’encrier repose sur ce constat. Le constat d’une solidarité, une solidarité éthique. « Pour avancer, on a besoin des idées », poursuit Rodney Saint-Éloi. Ce qui est essentiel? Savoir quelles sont les idées qui nous portent. Et à Mémoire d’encrier, « nous sommes portés par les valeurs du vivre ensemble. C’est-à-dire, on est en train de combattre le racisme ». Et quel meilleur moyen d’y parvenir que le livre, soutient l’éditeur. « Le livre ajoute à notre humanité. Nommer le racisme, c’est déjà le combattre. Comme le racisme est systémique, on ne peut pas le comprendre. Et on ne peut pas déconstruire ce qu’on ne comprend pas. »
Humilité, dignité, diversité
Qu’il s’agisse de la condition noire, arabe, amérindienne ou encore des naufragés de l’existence, Mémoire d’encrier cherche à plonger « dans les couches profondes » de la société, à contourner le formatage étatique, les mensonges institutionnels, à dénoncer la violence de l’esclavage, des réserves, ces « lieux de non-droit que la société accepte ». Rodney Saint-Éloi cite Aimé Césaire* (« ne pas accepter l’inacceptable »), Danièle Sallenave (« Toute vie sans les livres est une vie ordinaire »), Naomie Fontaine*, Ocean Vuong* et publie, au nombre de ses derniers ouvrages phares, NoirEs sous surveillance : esclavage, répression et violence d’État au Canada* et Nous sommes des histoires : réflexions sur la littérature autochtone*, « une pensée amérindienne, par des Amérindiens ». Ces histoires qui n’ont jamais été relatées, qu’on se doit d’aborder avec humilité, vont transformer le Canada, soutient Rodney Saint-Éloi. « Ce qui a été raconté, c’est toujours l’histoire des colons. On essaie de changer la perspective. »
Le projet de Mémoire d’encrier, c’est de donner aux uns et aux autres, aux unes et aux autres, leur dignité, leur humanité. C’est essentiel pour l’écrivain-poète, qu’une maison d’édition voie le Québec comme un véritable continent, un lieu d’ouverture et de passage où toutes ces humanités sur lesquelles il faut mettre des noms se croisent, se rencontrent, un lieu qui appelle à grandir, qui s’imagine plus vaste qu’une province, pour « éviter la petite vie », celle qui ne concerne que soi. « Parce qu’on est dans une diversité, une diversité de voix, de tons et d’émotions. Et ça, c’est fondamental pour nous, à Mémoire d’encrier. Et c’est comme ça que tu combats l’extrême droite, les extrêmes, le racisme, l’exclusion, le rejet, le ressentiment. Et tu peux produire des gens qui peuvent rêver. Des gens qui peuvent avancer. Et rêver ensemble. »