
L’exposition L’Éclatement de l’image, sous la direction de la commissaire Ève De Garie-Lamanque, réunit huit créateurs qui interrogent, par la vidéo, notre rapport à l’écran en déconstruisant les codes cinématographiques dominants. Une tout autre expérience du dispositif filmique s’opère alors que le visiteur sans repères doit exercer son regard, repenser sa relation à l’écran et, par conséquent, modifier son comportement de spectateur.
D’œuvre en œuvre, les conventions du cinéma hégémonique tombent, à commencer par l’écoute passive. Dans Your Piece, Olivia Boudreau met en scène une conversation entre une jeune femme et un interlocuteur hors champ. Le mutisme de la vidéo et le cadrage obligent le spectateur à s’engager dans une lecture attentive, intuitive et sensible des images pour accéder à un contenu fortement émotif. La frustration relative aux informations manquantes se transforme en un élan empathique, que génère cet état psychologique universel, mêlé d’un sentiment d’impuissance, qu’engendre notre insatisfaite propension à atténuer la détresse de l’autre. Parallèlement, les œuvres d’Adad Hannah semblent, à première vue, de simples arrêts sur image, une impression renforcée par l’absence de sons et la banalité des sujets présentés : Two Sweepers, Young Architects, Ascending/Descending et Dinner in Florida. Néanmoins, le spectateur assidu relève peu à peu des éléments mouvants, qui trahissent les figurants dans leur quête d’immobilité, et ce, jusqu’à provoquer des oscillations tantôt réelles, tantôt trompeuses.
Quant aux œuvres de Jorgen Leth et de Jon Sasaki, elles revendiquent, chacune à leur façon, la transparence, non pas selon l’esthétique hollywoodienne de l’invisible, mais bien dans le sens de l’honnêteté du médium. La scène « Andy Warhol Eating a Hamburger », issue du moyen métrage 66 Scenes from America de Leth, se démarque par l’authenticité du moment capté. Évacuant toute prétention publicitaire — on en oublie l’action principale — et admirablement intime, la vidéo inchangée révèle la fragilité psychologique et physique de Warhol ainsi que son malaise contagieux qui placent le spectateur dans une position de voyeurisme que l’on ne ressent pourtant pas devant la séquence de Boudreau. Pour sa part, Sasaki exploite le danger et le spectaculaire, thèmes récurrents du cinéma dominant. N’empêche que cette volonté de transparence le traverse également. Dans ses très courts métrages, l’artiste performe sans trucage, sans écran vert, sans effets spéciaux ni montage des actions physiquement exigeantes et compromettantes (voir photo).
Pour notre plus grand plaisir, Le Cours des choses figure dans l’exposition. En filmant à l’épaule, Peter Fischli et David Weiss défendent l’authenticité matérielle du médium à une époque (1987) où l’industrie des nouveaux médias émerge. Ce film expérimental présente une réaction en chaîne de phénomènes physiques et chimiques qui recourent à des objets du quotidien. Interminables et soudainement fulgurantes, les actions relèvent à la fois de l’humour et du suspense. Comédie ou bien révolte des objets, l’effet domino n’est pas sans évoquer la machine de Rube Goldberg alors que les multiples combustions et explosions rappellent les tragiques dénouements du coyote dans ses innombrables tentatives de capture du Road Runner.
L’ « éclatement de l’image » se produit à travers des œuvres judicieusement sélectionnées. La mise en espace, qu’orchestre la commissaire, renforce également ce processus. En effet, dans cette exposition non léchée, les supports sont intentionnellement montrés : filage, téléviseurs, projecteurs et dispositifs sont exposés plutôt que camouflés. Comme quoi, une fois les codes de présentation cinématographiques et muséaux tombés, l’artifice devient discutable.
L’Éclatement de l’image, au Musée régional de Rimouski jusqu’au 27 janvier 2019