
Le conflit agitant le service des postes s’est réglé comme à peu près tout le monde l’envisageait : par une loi spéciale. Peu importe la couleur politique des partis au pouvoir, rouge ou bleu, le droit de grève est constamment nié.
L’administration des postes a adopté la même stratégie de négociation à laquelle tous les services publics et parapublics recourent depuis plusieurs décennies : à la fin de la convention collective, un comité de négociation a pour seule fonction de laisser traîner les choses jusqu’au moment où les travailleurs, lassés d’attendre que les négociations avancent, sont contraints de démarrer des moyens de pression. C’est à ce moment que le signal est envoyé au législateur pour qu’il intervienne rapidement et de manière souvent disproportionnée. Tout compte fait, cette stratégie patronale se rapproche dangereusement de la définition d’une négociation de mauvaise foi, pourtant interdite par la loi…
Grèves tournantes
Dans le présent conflit, le syndicat des postes avait pourtant fait montre de prudence en procédant à des grèves tournantes qui ralentissaient la livraison, mais ne paralysaient pas complètement le service. On pourrait presque dire qu’il assurait, de manière volontaire, une prestation de service essentiel comme la loi l’oblige dans certains secteurs comme celui de la santé. Sans doute, le syndicat craignait-il de déclencher une grève générale, de peur d’obliger le gouvernement fédéral à intervenir.
La loi spéciale est censée être une mesure d’exception, elle est pourtant devenue un mode de gestion courante des relations de travail. Au-delà du discours sur la livraison des chèques pour les personnes vulnérables qui lui sert d’alibi, les postes voulaient une trêve pour la période des fêtes pour assurer que les marchandises soient livrées en cette période de forte circulation commerciale, mais le syndicat a refusé et a plutôt choisi ce moment de haut achalandage pour se faire entendre. C’est une stratégie syndicale normale : cibler le moment où son rapport de force serait le plus fort. Ce qui est moins normal, c’est que peu importe les précautions prises par le syndicat, la loi spéciale soit toujours au rendez-vous. Le message envoyé par le législateur est on ne peut plus clair : vous avez le droit de payer des cotisations syndicales, mais pas celui d’exercer votre droit de grève, même de manière conventionnelle, régulière et prévue par la loi…
Un vrai droit de grève?
En 2011, le service des postes avait décrété un lock-out et le gouvernement Harper avait imposé très rapidement un retour au travail qui fut contesté avec succès par le syndicat. Le syndicat espérait sans doute que l’administration Trudeau observe une certaine retenue au vu de cette décision, or il n’en fut rien. Le syndicat examine maintenant ses recours juridiques pour tenter, comme en 2011, d’avoir gain de cause, sauf que l’objectif de l’entreprise est de forcer le retour au travail. On peut donc dire sans risque qu’elle a gagné cette ronde de négociation haut la main grâce à l’intervention de l’administration de M. Trudeau. Les recours juridiques sont très longs et coûteux et quand bien même le syndicat gagnerait-il sa cause, rien ne semble empêcher le législateur de répéter la manœuvre la prochaine fois et les fois suivantes. En fait, le droit de grève n’existe plus pour les travailleurs publics et parapublics, et les gestionnaires le savent trop bien.
Le droit du travail a été conçu pour pacifier et réguler les relations de travail. Sur cet aspect, on peut dire que l’objectif est pleinement accompli, mais le droit a aussi pour fonction, en principe, de permettre aux forces en présence de s’affronter pour que de ces échanges les parties fassent l’analyse de ce qui est en jeu, de leurs objectifs, de ce que leur coûte de tenir ou de lâcher tel aspect, et qu’elles en viennent à faire une évaluation de ce qui est mieux pour elles et pour la pérennité de l’entreprise.
Dans les années 1960 et 1970, le Canada était un des endroits au monde où le nombre de grèves était le plus élevé et où les grèves étaient féroces. Le Canada est depuis devenu un des endroits où il en y a le moins et elles sont généralement très courtes. Le législateur est devenu intolérant aux moyens de pression, malgré le calme relatif des relations de travail sur notre territoire. Les syndicats ont joué leur rôle à l’intérieur des balises fixées par le droit, quand ils perdent, on dit qu’ils n’avaient pas de rapport de force. Or, quand ils sont forts, le droit est là pour leur casser les jambes. Le législateur ne semble pas connaître la retenue. Le temps est venu pour les syndicats de lutter à nouveau pour la reconnaissance du droit de s’organiser, à défaut de quoi, l’illégalité et le défi de la loi s’imposeront comme seules alternatives.