Champ libre

Conque

Par Juliette Dumas le 2019/01
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Champ libre

Conque

Par Juliette Dumas le 2019/01


Le
 Cabaret des auteurs, présenté cinq fois l’an au Cégep de Rimouski, fait entendre les voix de la relève littéraire du Bas-Saint-Laurent. Le Mouton Noir se joint à la fête en publiant un texte écrit et lu par un étudiant ou une étudiante lors de cet événement afin d’amasser des fonds pour le voyage de fin d’année des étudiants et étudiantes des programmes en arts, lettres et communications.

T’as jamais cru en Dieu. Mais, t’aurais aimé. Oui, t’aurais aimé. Mais t’es prétentieux et convaincu de jamais pouvoir y croire. Alors tu visites les églises, les belles, les vraies, et tu te prends pour un autre. Pour un croyant. Tu visites des chapelles, des cathédrales, des abbayes. Celles qui sont mortes. Où le temps agonise. Tu visites des structures vides, des espaces creux, des parois solides où déambulent les fantômes d’hommes de foi. Et tu prends les lieux saints pour des coquillages qu’on ramasse sur la plage et qu’on collectionne, après avoir enlevé le sable. Tu collectionnes les églises et tu es à leur image, un objet creux, solide à l’extérieur, vide à l’intérieur. Un peu tordu. Un peu changeant. Un peu seul, dans l’océan.

Viens, je vais te montrer, je vais te faire visiter et t’emmener entre les murs où des milliers de pierres s’élèvent vers les astres auxquels les fous ont donné un nom. Elles sont identiques et interchangeables comme nous, et pourtant elles rayonnent près de Dieu.

Là, au cœur d’un cimetière de croyances, on va mourir un p’tit peu.

Là, on va voir notre petitesse.

Je vais te montrer l’insignifiance des uns et la grandeur des autres, à regarder par les yeux de Dieu, tu vas voir, Dieu est un oiseau qu’on vénère.

Vois qu’on est semblables, que les hommes rampent, qu’ils tuent la beauté en tentant de l’immortaliser, comme un papillon qu’on épingle à sa collection. Viens, on va tuer des papillons.

Viens, je vais te montrer :

La pluie qui s’abat sur les moines comme des couteaux.

Le soleil assécher les terres et le désert grignoter les jardins.

La nuit transformer les vitraux en spectres.

L’orage déverser son chagrin en torrents, les toits ruisseler de larmes

L’éclair égorger le ciel et divorcer les étoiles.

Le tonnerre répondre et le silence tomber.

Oui, je vais te montrer toutes sortes de choses.

Vois les hommes :

Entrer par les portes et ressortir.

Ouvrir la bouche et mentir.

Construire des ponts qui s’effondrent.

Remplir les lacs, trouer les montagnes et s’y enfouir.

Courir pour leur vie, mourir, se faire enterrer et pourrir.

Vois les hommes :

Manger, digérer et chier.

Fermer les yeux sans être aveugles.

Perdre la foi et prier.

Lever les yeux au ciel et s’envoler.

Ériger des cathédrales qui s’effondrent.

Entamer des pèlerinages qu’ils abandonnent.

Voler des reliques et accuser Dieu.

[…]

Viens, on va regarder la création, celle qui nous ensevelit sous des trombes d’eau, qui nous fait craindre le feu. Celle qui chérit les souvenirs et nous empêche de nous reconstruire, telles des églises qui s’effondrent parce qu’on a voulu toucher le ciel. Il ne faut pas chercher le ciel. Nous pouvons croire au sol.

Tu as raison, les chapelles, les cathédrales et les abbayes que tu visites sont des coquillages, des habitacles de mollusques, des cavités profondes où retentissent les cantiques, des cônes qui s’élèvent entre les guerres.

Et tu les visites quand même.

Et tu as la foi quand même.

Tu connais l’éphémère.

Tu sais que le monde existe même si tu fermes les yeux.

Tu sais n’aimer les hommes que de loin.

Tu sais dire je crois ou je ne t’aime plus.

Viens, apprends-moi, car je ne crois plus.

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