Champ libre

La culture québécoise, c’est quoi, ça?

Par Eric Normand le 2019/01
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La culture québécoise, c’est quoi, ça?

Par Eric Normand le 2019/01

On cherche notre libération, au Québec. On cherche à travers une improvisation, jusqu’à ce qu’on trouve notre culture québécoise. La culture québécoise, elle est pas encore inventée.

 – Yves Charbonneau, Jazz libre du Québec, 1973

Le mot « culture » veut dire une chose et son contraire. Certains me diront que le cipaille, le set carré ou, pire, le crucifix de l’Assemblée nationale, ça fait partie de notre culture. D’autres me diront que la culture, c’est d’aller voir une pièce de théâtre ou de lire un livre. Ou encore, plus prosaïquement, l’ensemble des créations symboliques, passées et présentes, se rapportant à un même « imaginaire collectif ». Eh ben!

C’est quoi ça, la culture québécoise?

Elle a le dos large en tout cas. Serait-ce possible que l’on nomme ainsi de nombreuses choses qui n’ont rien à voir avec la culture, mais qui lui font ombrage. La définition même du mot « culture » n’est pas claire. Chez Larousse, on dit : « Ensemble des phénomènes matériels et idéologiques qui caractérisent un groupe ethnique ». Ouille. Est-ce vraiment ce dans quoi j’œuvre? En tant que créateur, je ne sens aucune envie particulière de valoriser le substrat folklorique de mes ancêtres boursouflés d’idées reçues et imbibées de tites-broues.

Ben oui, j’exagère.

Heureusement, plus bas dans la définition, on dit : « Enrichissement de l’esprit par des exercices intellectuels ». Voilà qui me semble plus intéressant. Pour moi, la culture, c’est d’être curieux et de créer de nouveaux potentiels symboliques et perceptifs. C’est bousculer nos visions du monde pour décupler les possibles.

À notre époque de questionnement sur l’intégration et la mondialisation, je perçois la culture comme un geste vers l’autre. Si autrefois et pour certains groupes minoritaires, l’aspect identitaire était garant d’un processus de libération, je crois que cette époque est révolue pour le Canadien français pris sous le joug d’une culture populaire mondialisée. On se demande si l’Amérique a eu une culture avant d’en faire le commerce.

Il est possible de faire un usage créatif et pertinent de l’héritage de nos ancêtres. La musique afro-américaine est un exemple fascinant de revendication culturelle. Ses grands créateurs allient les folklorismes à un parti pris pour l’innovation et ce jusqu’au-boutisme. De cette façon, ils évitent le réductionnisme culturel et ouvrent les fenêtres : « Ancient to the Future », tel était le slogan du Art Ensemble of Chicago.

Au Québec, nous n’avons peut-être pas su réinventer notre tradition de façon aussi convaincante. Enfin, c’est ce que l’on se dira bientôt, éblouis par le miroir déformant de l’industrie, loin de ces musiques invisibles sur le plan numérique, de ces manifestations artistiques proprement québécoises, modernes et non folklorisantes. La déferlante « musique actuelle », dès les années 80, en est une incarnation vivifiante. Et il en existe des exemples dans toutes les disciplines. Mais ils sont souvent ignorés, oubliés par une industrie de plus en plus convergente et qui a plus d’intérêt à rallier des formes traditionnelles déjà assimilées par un public nombreux, et un vent de conformismes semble s’être abattu sur nos contrées.

Le fort caractère identitaire du discours sur la culture dans les années 80 a sans doute aussi joué contre les adeptes de nouvelles formes. « Jouer du jazz [est] devenu suspect », dira Jean Derome, compositeur et multi-instrumentiste.

Aujourd’hui quand j’ouvre la radio ou la télé, j’ai l’impression d’y entendre bien peu de choses qui se rapportent à la culture et pourtant beaucoup d’artistes [sic]… Les choses nouvelles se font en vases clos, dans des niches, pendant que ronronne le murmure marchand. C’est pourquoi, pour 2019, je souhaite au Québec de la création, plus folle, plus pensée, plus dérangeante, plus vraie. Je nous souhaite de créer en oubliant la pression et les formes imposées par trois des fardeaux que le mot « culture » porte lourdement, celui de l’industrie, celui de l’identité et celui de l’académisme.

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