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Homme lézard

Par Fred Dubé le 2018/09
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Homme lézard

Par Fred Dubé le 2018/09

J’écoute le bulletin de nouvelles d’une grande chaîne. Tout me paraît sérieux, crédible et professionnel. C’est pas des cons, ils portent une cravate. Ils parlent bien, ces journalistes et ces chefs d’antenne, pas de tataouinage. Le tout est posé et objectif. Le présentateur de nouvelles fraîches regarde la caméra dans le blanc des yeux, l’air de dire « Je vous le jure que c’est vrai!!! » On voit même des graphiques apparaître à l’écran, des ordinateurs en arrière-plan, c’est pas des marioles, ces gens dans les médias. Je suis enjôlé comme à un show de Messmer. On me parle de croissance économique et mes doigts collent!

Pourtant, je suis pas bien. Quelque chose cloche. Je plisse les yeux et croise les bras. J’écoute leur nouvelle, je suis au courant de la nouvelle, mais je comprends toujours pas la nouvelle. C’est pas qu’ils nous mentent. C’est que leur réalité n’est pas la vérité.

Une idée me vient : suivre le chef d’antenne Pierre Bruneau en char. L’espionner pendant quelques jours pour confirmer les pires théories du complot. Pour finalement me rendre compte que ce n’est pas un homme lézard, ni un franc-maçon, ni un Illuminati. C’est bien pire! Il vit en banlieue dans une grosse maison huppée et climatisée avec sa femme, une piscine hors terre, de superbes électroménagers intelligents, une belle pelouse vert fluo juste à côté d’une belle entrée en asphalte noir pour son char climatisé, il lit uniquement des livres de croissance personnelle, écoute des séries américaines sur son cinéma maison, il fait ses achats au Costco du coin, très heureux des nouveaux emplois créés, et pense sincèrement que tout ça, c’est normal. Il est dangereux. Ce qu’il incarne, c’est bien pire que d’être un homme lézard qui ferait bander Charles Darwin. Pierre Bruneau est un bourgeois contemporain qui a intériorisé la marche boiteuse du monde, et en fait la promotion tous les soirs depuis des dizaines d’années. C’est un mutant à cravate qui utilise ses pouvoirs médiatiques contre le progrès social. Même si Pierre Bruneau met son petit cuissard moule couilles et saute sur son vélo une fois par année pour ramasser du cash pour la recherche contre le cancer, eh bien, le restant de l’année il se sert de sa tribune pour cautionner et faire la promotion d’entreprises et d’un mode de vie mortifère qui donnent le cancer aux kids. Pierre Bruneau est une Export « A » verte dans une cour d’école. Certains me diront : « Pourquoi Pierre Bruneau en particulier, Fred ? » J’aurais pu nommer n’importe lequel des chefs d’antenne ou journaliste vedette qui pleure comme un manga japonais en recevant son trophée Artis. Car comme écrivait Pierre Falardeau : « Je suis en crisse contre vous autres parce que vous avez les moyens de changer le monde, mais vous le faites pas mes ostis. »

C’est quand même hilarant leur vision de « l’objectivité » journalistique. Est-ce objectif quand les médias donnent l’adresse des 66 succursales de la SAQ qui sont ouvertes pendant la grève de leurs employés? Quand la grosse nouvelle du 16 mai 2018, c’est  « Elle défèque et lance ses excréments aux employés d’un Tim Hortons », on peut se demander si les fausses nouvelles sont le seul défi du journalisme. Les fausses nouvelles ne sont rien comparées aux pseudo-événements que vous montez en crème fouettée.

Si j’étais journaliste, j’irais partout au Québec où y se passe « rien ». Je couvrirais les non-événements pour comprendre pourquoi il ne se passe rien, ici.

– Nous sommes présentement sur la scène d’un crime qui n’a pas eu lieu.

– Exact.

– Donc, aucun crime ni meurtre?

– C’est ça, rien.

– Pourquoi y s’est rien passé?

– Bien… Ici, les inégalités sociales sont très faibles, c’est très difficile de se procurer un gun pis y’a une forte solidarité entre voisins, alors on peut s’aider et faire de la prévention avant qu’un drame arrive.

– Et tout ça mis ensemble provoque rien?

– C’est ça.

– Merci. C’était Fred Dubé qui n’a rien à dire.

On vise rien. On définit tout ce qui est essentiel à une vie heureuse et ensuite on fait en sorte que rien ne nuise à ça. On trouve essentiel de pouvoir se baigner et boire dans n’importe quelle rivière du Québec sans s’empoisonner? Qu’est-ce qu’on peut faire alors pour que, lorsque je prends une gorgée dans la rivière Yamaska, y se passe rien? On élimine de notre société tout ce qui nous éloigne de rien. Contrairement à monsieur Bruneau et les autres ripoux qui vous remplissent de vide, moi, je vous propose rien. 

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