
En 2015, en concordance avec la politique culturelle de la MRC des Basques, les Compagnons de la mise en valeur du patrimoine vivant de Trois-Pistoles mettaient en branle un projet d’enquête patrimoniale. De dévoués enquêteurs sont partis à la chasse au trésor à travers la MRC pour extirper du fond des tiroirs de précieux bouts de souvenirs, des instants d’incurable nostalgie, de grands moments de bonheur oublié.
Porteuse de ces histoires, l’équipe vous a proposé, il y a déjà un an et demi, de suivre sa chronique dans laquelle elle présentait le fruit de ses recherches en vous racontant Les Basques à travers deux thèmes distincts : les patinoires extérieures et la tradition orale. Huit chroniques plus tard, l’heure est au bilan. Que réservent le présent et l’avenir?
…de la tradition orale?
«Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », disait Antoine Lavoisier. Et au terme de nos entrevues, certains interlocuteurs étaient de ceux démentant le célèbre dicton, disant la tradition orale sur un respirateur artificiel au débranchement imminent, et certains croyaient plutôt qu’une toute nouvelle forme de transmission allait assurer le relais de l’oralité. D’autres se rangeaient plutôt chez Lavoisier, prônant une tradition orale en mutation, sous les atours de la modernité. Et si la tradition orale de demain était tributaire de tout cela à la fois?
Ce que l’on perd
Grand-papa, où t’es? Fut un temps où jusqu’à quatre générations d’une même famille se partageaient la proximité d’un seul et unique toit. Grand-maman le matin, le midi, le soir. Grand-papa du lundi au dimanche. Avec cette proximité spatiale venait une proximité d’esprit se traduisant par le transfert de souvenirs, de savoir-faire et de folklore à la lueur des chandelles ou sous le soleil cuisant des moissons. Les grands-parents ne sont plus là, de l’autre côté du mur, pour resemer leur vécu fertile. Les enfants ne sont plus là, dans la pièce voisine, pour récolter ces mémoires fugitives.
Ces écrans qui nous séparent
Depuis la venue de la télévision, les boîtes à images, ces hypnotisantes surfaces lumineuses se dressent devant nous comme des murs. Aujourd’hui enracinées dans nos maisons, dans nos mains, elles semblent plutôt se dresser entre nous; des paravents numériques nous isolant de la richesse du vrai. Et malgré leur capacité de partage à des années-lumière du pigeon voyageur, elles ont tout à apprendre du côté profondément humain de la tradition orale. On préfère assimiler les histoires préfabriquées que tendre l’oreille aux anecdotes frivoles de la première voisine, aux blagues salées de la deuxième ou aux récits de guerre du troisième.
Ce Que l’on crée
L’art à la rescousse. Le passé n’aura pourtant jamais autant eu la cote. On encense nos héros du temps, leur dédie des films, des expositions, des murales urbaines, et on reprend leurs chansons au goût du jour. On aime garder vivant ce qui apporte réconfort et fierté. Et même si la tradition orale sous sa forme pure n’est plus, sa flamme reste bien vive à travers des arts oratoires et littéraires fort puissants : l’humour, le slam et le conte, ces formes d’expression actuelles au service du vécu, de l’émotion et de l’imaginaire.
Des outils de mémoire collective
Et ces machines technologiques, bien qu’elles nous isolent, constituent la solution au temps glissant entre nos doigts. Ces outils nous permettent de laisser une trace indélébile dans un monde à la mémoire de poisson rouge, de cimenter pour toujours les mémoires qui s’effritent. Collecter le passé et le présent n’aura jamais été aussi facile et aussi fondamental devant un futur dont le tracé et la durée demeurent incertains. L’homme, on le sait, aura toujours besoin de savoir d’où il vient pour savoir où il va.
Ce que l’on transforme
Longtemps unique source de transmission, la tradition orale rencontre plusieurs obstacles, dont le clivage des générations et l’exil humain causé par l’ère numérique. Elle peut toutefois compter sur l’art pour entretenir la nostalgie, propager l’ici et maintenant, et compter aussi sur ces technologies capables du pire mais aussi du meilleur, pour satisfaire notre besoin de réminiscence et notre soif de communiquer notre époque. Car malgré ce que l’on perd et grâce à ce que l’on crée, elle se transforme.
Les Basques dans tout ça? Les quêteux ne sillonnent peut-être plus ses terres, mais la tradition orale fait encore écho aujourd’hui, à sa manière, lors du brouhaha d’un certain festival automnal, par ses légendes vivantes et à travers une équipe d’enquêteurs infatigables, afin de préserver son canal principal : la nécessité de se rassembler, de se parler.
Le travail d’enquête sera bientôt disponible pour consultation audio et photo dans certaines bibliothèques des Basques et au Musée de la mémoire vivante à Saint-Jean-Port-Joli où certains témoignages sont déjà intégrés dans une nouvelle exposition sur les patinoires.