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Comment oublier les spectres qui hantent l’Europe?

Par Nicolas Petel-Rochette le 2017/11
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Comment oublier les spectres qui hantent l’Europe?

Par Nicolas Petel-Rochette le 2017/11

Ce texte a été écrit avant au lendemain du référendum.Il ne contient donc pas les plus récentes informations sur la déclaration d’indépendance du 27 octobre 2017 et ses suites

La nuit vient de tomber à Madrid au son des hélicoptères de la police. Les manifestations se succèdent ici aussi, comme dans toute l’Espagne, afin d’appuyer les gens qui vivent de plein fouet les événements qui s’enchaînent en Catalogne depuis bientôt un mois et qui ont culminé avec la répression policière brutale le jour du scrutin référendaire. Depuis, les rues de Catalogne sont occupées. Les assemblées se succèdent, tout comme les encerclements de commissariats. On veut expulser les forces policières militarisées qui occupent la province. Aujourd’hui, c’est la grève générale. Dans quinze minutes, heure d’ici, le roi d’Espagne s’adressera à la Nation.

Il est évident que l’inqualifiable violence, non seulement les blessés (plus de 760) mais tout le reste, mènera tôt ou tard à la rupture de « l’unité de l’Espagne » si chère aux fascistes d’hier et d’aujourd’hui (à moins qu’un coup d’État « légal », l’application de l’article 155 de la Constitution par exemple, ne retire tout pouvoir à l’administration catalane). Fait étrange, une grande partie de la population espagnole ne perçoit pas tout cela comme de la violence : pour eux, la violence réside dans le fait d’avoir mis en branle le référendum. Il y a une sorte d’aveuglement face à la nature de la violence. Le gouvernement a appelé les gens à faire flotter le drapeau espagnol sur leur balcon en appui aux forces de l’ordre et pour la défense de l’unité nationale. La ville en est remplie. Pourquoi?

Constat référendaire

Il est probable que le référendum catalan aurait été perdu, ou du moins que les résultats auraient été très différents s’il avait été organisé « à la québécoise » : avec tous les moyens et « garanties démocratiques » prévues par le scrutin individuel. En fait, en réaction à la répression par un nationalisme, l’espagnol, l’autre nationalisme, le catalan, s’est emballé, a eu des ailes, comme le remarquait sur place Manon Massé. Les personnes mitigées se sont positionnées, bien entendu, en faveur de l’indépendance. Dans toute l’affaire, la démocratie, mise à mal par le gouvernement central, a été un fétiche : le moyen d’incarner un idéal identitaire par le biais d’un symbole, l’urne. Ce qui est en train d’arriver, plus que l’échec d’un processus démocratique, est presque une guerre civile. L’indépendance, si elle advient, sera une proclamation, la rupture « désobéissante » d’une institution face à une autre au nom d’une volonté populaire qui n’inclut pas évidemment l’ensemble de la population catalane.

Or, l’« invisibilité » de la violence (une forme de dissimulation mise en place et encouragée par le gouvernement et les médias), la violence dans les rues, l’alliance émotionnelle entre policiers et conservateurs, la sublimation de la politique institutionnelle par de grands idéaux, la polarisation de la réalité politique en deux camps, l’impossibilité de se positionner hors de ce dilemme guerrier entre deux identités, entre amis et ennemis, l’esthétisation de la politique, l’oubli des alliances « d’avant la guerre » et des solidarités laissées de côté par cette dernière, la présomption de la force, la promesse d’intention, tous ces symptômes portent un nom : le fascisme.

Le fascisme est avant tout un laisser-aller, un relâchement, un laisser-faire. Il arrive avec le masque de l’oubli et enferme dans un présent continuel. Il implique le manque d’organisation, ou, mieux, le fait de se laisser organiser. En Catalogne, le mouvement nationaliste indépendantiste frôle lui aussi ces dangers, ne serait-ce que parce que l’économie décisionnelle du gouvernement semble plus que jamais incarner la volonté du peuple, ce qui n’avait pas été à ce point le cas jusqu’à ce que la pulsion fascisante du gouvernement central espagnol l’y pousse. Le fascisme, c’est l’instauration d’un faux dilemme. Qu’on me comprenne bien : je pense que l’issue de la crise ne peut être que l’indépendance et l’instauration d’une République de Catalogne. Néanmoins, ce qui est inquiétant, ce sont les moyens et les ressorts politiques qui mèneront à ce nouvel état de fait. Sont-ils souhaitables? La généralisation et, en quelque sorte, la banalisation de la violence, causée entre autres par ce que Naomi Klein appelle « doctrine du choc », sont l’affaire de tout le monde, pas seulement de la Catalogne.

Aveugles devant la violence?

De notre côté, même si aucun drapeau ne flotte sur nos balcons, ne serions-nous pas aux prises avec un phénomène similaire de déni de la violence vécue par d’autres? J’ai l’impression que, pour voir la violence, il faut un rappel continuel du présent : tenter de voir le présent au-delà des faux dilemmes. Se rappeler le présent tel qu’il est. Appliquant le dicton de notre province, tâchant de tirer des conclusions de cette terrible situation en Espagne, ne serions-nous pas nous aussi en train « d’oublier » la violence? Si les circonstances nous poussent à parler de montée du fascisme – et c’est malheureusement le cas – parlons-en en gestes, en tâchant de comprendre ce que cela a à voir avec notre vie. C’est, du moins, le peu que je crois pouvoir faire, assis ici, en écrivant ces lignes au son des hélicoptères. Comment faire? Y a-t-il une politique de l’imagination? Qu’arriverait-il si plusieurs secteurs québécois entraient en grève générale illimitée pour protester contre l’état d’exception en Catalogne? 

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