
Half Ticket (2016), du réalisateur indien Samit Kakkad, est l’adaptation en marathi du film Kaaka Mutai (2014), de M. Manikandan, qui a pris l’affiche en tamoul. Les films indiens ne sont pas doublés, car l’Inde compte plus de 20 langues officielles et une centaine de dialectes. Ces deux films, primés dans de nombreux festivals, racontent l’histoire de deux jeunes garçons des bidonvilles qui veulent plus que tout au monde manger de la pizza. M. Kakkad a voulu transposer le plus fidèlement possible cette histoire du bidonville de Delhi à celui de Mumbai.
Retour aux sources
Filmé directement dans le bidonville de Mumbai (exception faite de la pizzéria, qui a été aménagée dans une boutique de vêtements), Half Ticket a permis à Samit Kakkad de renouer avec le lieu de naissance de son grand-père et de faire un retour à ses racines, et à ce que nous oublions en grandissant. C’est sa connaissance des gens et des lieux qui a permis au réalisateur de tourner sans trop de difficultés ce film qui porte sur le manque, le désir et sur la manière dont nous cherchons à combler nos besoins primaires, mais aussi nos besoins secondaires, accessoires.
Un récit initiatique et universel
Half Ticket est un film universel qui a touché les enfants l’ayant visionné. C’est un récit initiatique, où l’on apprend quelques leçons, où le corps et l’esprit mûrissent parfois lentement, mais sûrement, comme en témoignent quelques questions récurrentes posées au réalisateur : « Pourquoi le père est-il en prison ? La grand-mère est-elle vraiment morte ? Les frères sont-ils de vrais frères, et la mère, leur vraie mère ? Est-ce que le propriétaire de la pizzéria frappe le grand frère pour vrai ? Le plus jeune garçon s’est-il vraiment fait pipi dessus ? » Le jeu naturel des acteurs vient parfois brouiller les frontières élastiques entre la réalité et la fiction afin de faire percevoir aux élèves la texture de la vie dans les bidonvilles.
Le film prend la forme d’une fable parsemée d’ingrédients où les êtres humains sont liés par les mêmes aspirations, ont tous des rêves, désirent ce qu’ils n’ont pas et apprennent à saliver devant tout ce que les stratèges du marketing créent comme manque en titillant leurs papilles-convoitises.
Manger ses croûtes
Ainsi, Half Ticket nous offre une pizza toute garnie où leçons de vie et vérités douces-amères sont offertes aux personnages sur l’importance de poursuivre ses rêves, de faire preuve de débrouillardise et de persévérance, et de travailler fort. Samit Kakkad réussit à transformer ce qui aurait pu prendre la forme d’un conte moral indigeste en un récit empreint de légèreté, de luminosité, de liberté (ce que les jeunes spectateurs et spectatrices n’ont pas manqué de souligner), où les liens familiaux, l’amour, l’amitié, la joie et la solidarité (quoique l’appât du gain pointe inévitablement) rendent résilient face à la pauvreté et aux revers.
Sans trop appuyer, et bien que le film soit saupoudré de bons sentiments, il y est aussi question des petites et grandes trahisons de la vie, des inégalités socioéconomiques, de corruption et de récupération politique. Petits et grands entrevoient qu’on a beau rêver, les rêves de certaines personnes semblent plus réalisables (et garnis) que d’autres…