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Un bilan sur l’éolien qui moisit aux oubliettes

Par Bernard Saulnier le 2017/11
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Un bilan sur l’éolien qui moisit aux oubliettes

Par Bernard Saulnier le 2017/11

Conformément à l’exigence d’un décret du gouvernement du Québec adopté en juin 2015 « sur la recommandation du ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles (MÉRN) et du ministre des Finances» (Décret #579-2015[1]),  Hydro-Québec a produit en mai 2016 le bilan officiel de 15 années de déploiement de la filièare éolienne au Québec dans un rapport intitulé : « Bilan de l’intégration de l’éolien au système électrique  québécois à la fin 2015 » [2] (IREQ-2016-0059).

 

Cet important bilan de filière a été révélé en décembre 2016 après des demandes d’accès à l’information effectuées auprès du MÉRN, puis d’Hydro-Québec (lettre-réponse C-5448-2016 [3]). Mais 18 mois après son inscription au registre officiel d’Hydro-Québec, et malgré le fait que chacune de ses 136 pages porte la mention « Niveau de confidentialité: Public », ce rapport brille toujours par son absence sur les sites web du MÉRN et d’Hydro-Québec.

 

Or, ce rapport bilan éolien 1- confirme la compétitivité technico-économique de l’éolien[4] avec la filière de la grande hydraulique, 2- souligne sa contribution à la réduction de l’impact de la demande nette[5] sur les autres équipements de production notamment durant la saison froide, 3- atteste du fait que les besoins d’équilibrage de l’éolien sont au final plutôt modestes, et 4- recommande d’étudier « l’impact d’une très grande pénétration éolienne sur son système » à des fins d’optimisation économique des futurs approvisionnements énergétiques du Québec.

 

Le chapitre 4 du bilan éolien d’Hydro-Québec s’intéresse au changement structurel de la demande québécoise depuis l’adoption, en octobre 2001, du décret 1277-2001 qui détermine toujours le profil de référence annuel des 165 TWh du bloc d’électricité patrimoniale réservé au Distributeur [6]. On peut y lire « que la quasi-totalité de l’augmentation des besoins entre 2000 et 2014 se situe […] pendant la saison froide » , et que « la production éolienne [en saison froide] tend en moyenne à diminuer l’impact de ce changement structurel de la demande.». La discussion qui s’ensuit donne à penser que cette évolution de la demande hivernale a entraîné une sous-utilisation graduelle du bloc d’électricité patrimoniale par le biais des règles de jeu convenues[7] qui favorisent les livraisons d’électricité post-patrimoniales plus coûteuses du Producteur (HQP). Ce mécanisme transactionnel ne peut que contribuer directement aux hausses de tarifs que réclame, bon an mal an, le Distributeur (HQD) à la Régie de l’énergie. Cette dévaluation artificielle de l’électricité patrimoniale indique clairement que des programmes conséquents d’efficacité énergétique et de gestion active de la demande d’électricité de même que des projets éoliens communautaires serviraient plus utilement l’économie québécoise que n’importe quelle future méga-centrale hydroélectrique qu’HQ pourrait être tentée de justifier pour ‘faire face’ à des besoins hivernaux que ses stratégies commerciales travaillent sans cesse à faire croître de toutes les manières possibles. 

 

Ce document lève ainsi le voile sur la culture de planification centralisée, unidirectionnelle d’une société d’État qui peine à se projeter dans la réalité d’une architecture énergétique décentralisée en déploiement irréversible partout dans le monde[8]. Ce rapport bilan contribue puissamment à rehausser le niveau du débat public sur la mise en œuvre d’une véritable transition énergétique au Québec[9]. En choisissant de mettre sous le boisseau ce rapport public au mépris de l’intelligence citoyenne, le gouvernement annonce le pire pour la transparence des futures décisions d’investissements énergétiques au Québec.

 

Par quel processus démocratique permet-on à HQ-Production (HQP) de concéder le patrimoine hydraulique historique du Québec dans des projets d’exportations extrêmes[10] en prétextant qu’il nous faut aider Boston, New-York et/ou Toronto à se sortir du charbon et/ou du nucléaire? En vertu de quelle logique financière HQP peut-elle entreprendre aujourd’hui la construction d’une centrale PV de 100 MW sans que le public connaisse les résultats de 10 années du programme d’autoproduction mis en place et géré par HQ-Distribution (HQD) depuis 2006[11]? Comment justifier que 100 M$ du trésor public puissent être siphonnés vers les spéculateurs des sociétés fossiles opportunistes sans que les termes du transfert au privé des droits du sous-sol que détenaient HQ aient été rendus publics? Par quelle logique de réduction des émissions de GES des dizaines de M$ du Fonds Vert peuvent-ils servir à subventionner l’expansion du réseau gazier de Gaz-Métro au Québec? Québec croit-il vraiment qu’une Politique énergétique 2030 qui n’a produit à ce jour aucun plan d’action minimalement cohérent puisse atteindre à la petite semaine les objectifs de réduction des émissions de GES qu’elle affiche?

 

Le gouvernement reste imputable d’une planification efficace et équitable du virage énergétique du Québec en mettant en œuvre des scénarios énergétiques soutenables pour l’avenir. S’il entend éviter d’enliser les générations futures dans des investissements anachroniques, le Québec doit s’imposer de soumettre son processus d’autorisation des investissements énergétiques à un examen public crédible de leur coût d’opportunité, ce qui inclut de remettre en question la pertinence de futurs méga-chantiers hydroélectriques au Nord et celle de stratégies d’exportations pharaoniques au Sud. Pour que cela se mette en place, le public doit compter sur des politiciens qui défendent bec et ongles un accès public rigoureusement ouvert, transparent et déchiffrable à l’information technico-économique pertinente.

 

Le rapport bilan éolien d’Hydro-Québec soulève d’importantes questions, bien actuelles, sur un modèle d’affaires québécois qui ne répond plus aux réalités ni aux attentes d’un marché continental de l’énergie engagé dans une révolution irréversible ( aux plans commercial, technologique, structurel, opérationnelle, et forcément financier…).  Il apporte à tous les citoyens du Québec des arguments concrets, factuels pour mieux réfléchir collectivement, en toute intelligence démocratique, aux scénarios d’approvisionnements et d’utilisation énergétiques soutenables porteurs pour réaliser le virage énergétique du Québec.  Il donne des pistes pour sortir de scénarios d’investissements conventionnels et propose des perspectives nouvelles permettant de relever, au Québec, de manière responsable et audacieuse les défis de l’Accord de Paris auxquels le Québec s’est engagé. 

 

             Bernard Saulnier, ing., 

             saulnierb@videotron.ca


[4] L’avantage technico-économique de l’éolien s’accroît d’année en année: « augmentation de la productivité des turbines et baisse du coût des équipements et de l’exploitation sont toujours sous-jacentes, et montrent toujours un potentiel d’amélioration marquée, sur lequel s’appuient les prévisions d’augmentation de la pénétration. », Rapport IREQ 2016-059 (cf. note 2), p. 89

[5] ‘’ […] pour plusieurs aspects de l’intégration de la production éolienne, il est très utile de référer à la notion de « demande nette », la réelle demande moins la production éolienne, à laquelle doivent faire face les moyens de production modulables et flexibles. Sous cet éclairage, l’impact de la production éolienne s’attache donc à la modification qu’elle apporte à la variabilité et à la prévisibilité de la demande nette. Il est important de noter que pour certains aspects de gestion du réseau, tout comme pour la demande seule, la demande nette régionale ou locale peut être d’importance. Cette question n’est que très brièvement abordée dans le présent bilan, mais son analyse serait de grand intérêt.’’, Rapport IREQ 2016-059 (cf. note 2), p.50

[6] En juin 2000 la Loi 116 fixait à 165 TWh/an le volume des livraisons d’électricité que le Producteur (HQP) réservait aux besoins du marché intérieur desservis par le Distributeur (HQD). La loi 116 retirait simultanément à la Régie de l’énergie l’examen des activités du Producteur. Le profil de référence du bloc annuel d’énergie patrimoniale patrimoniale a été établi par 8760 valeurs de puissance moyenne horaire, appelées ‘bâtonnets’, qui figurent dans le Décret 1277-2001 du 24 octobre 2001 « Concernant les caractéristiques de l’approvisionnement des marchés québécois en électricité patrimoniale ». http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=1&file=37151.pdf

[7] « Tout en reconnaissant qu’un bâtonnet patrimonial n’est très généralement pas utilisé pour supporter le bâtonnet de besoin correspondant, le graphique [Figure 33, p.76] donne une évaluation de la part du besoin qui ne peut être supporté par le bloc patrimonial. », Rapport IREQ 2016-059 (cf. note 2), p.76. Face au changement structurel du profil de la demande en saison froide observé au Québec depuis 15 ans, l’extrait souligne clairement que les règles d’ ‘utilisation’ des bâtonnets horaires entre le Distributeur et le Producteur favorisent l’accroissement des ventes d’électricité post-patrimoniale plus coûteuse du Producteur (HQP) au Distributeur (HQD) plutôt que la consommation du bloc d’énergie patrimoniale que la Loi 116 lui réservait bon an mal an. Ces règles d’utilisation biscornues de l’électricité patrimoniale contribuent implicitement à la hausse des tarifs que réclame le Distributeur tout en laissant au bilan du Producteur tous les bénéfices provenant de l’exportation de cette  « part du besoin » intérieur non-desservie par des volumes patrimoniaux détournés de l’usage que le Législateur leur avait conférés, et sur lesquels la société d’État entretient la confusion en les désignant hypocritement comme « surplus du distributeur ».

[8] 18 septembre 2017, Richard Châteauvert, La Presse Canadienne, New York, http://affaires.lapresse.ca/economie/energie-et-ressources/201709/18/01-5134342-production-delectricite-couillard-entrevoit-une-nouvelle-ere.php  À New-York au cours d’une table ronde lors de l’événement Climate Week NYC, le premier ministre du Québec a affirmé que ce ne sont pas les grands barrages qui vont nous porter au cours des 20 à 25 prochaines années, et qu’il leur préfère nettement le photovoltaïque (PV): « comme le coût de ces énergies-là diminue de façon remarquable, notamment dans le solaire – et vous savez qu’Hydro-Québec veut aller également dans la direction du solaire – je pense que vraiment […] la grande révolution à laquelle nous au Québec on va participer, c’est celle-là avant tout.», voir aussi la note 11 sur le décalage entre Philippe Couillard et Hydro-Québec concernant la révolution du PV.

[9] L’expression ‘transition énergétique’ se présente comme la traduction officielle de la notion d’ « EnergieWende » à laquelle elle ne rend malheureusement pas toujours justice. C’est notamment le cas au Québec. L’ ‘ÉnergieWende’ est intimement associé à l’historique de 35 années d’efforts par la société civile allemande pour mettre en place un cadre réglementaire favorisant la démocratisation du secteur de l’électricité. « Wende » signifiant « demi-tour » (en anglais ‘turnaround’), sa traduction implique un changement de cap majeur. Dans ce texte, l’expression ‘ virage énergétique ’ est donc utilisée de préférence à ‘transition énergétique’ parce qu’elle traduit nettement mieux le premier défi auquel fait désormais face un Québec qui, avec déjà plus de 40% d’énergie renouvelable dans son bilan d’approvisionnement , doit affronter de façon responsable le projet collectif d’un affranchissement massif de sa dépendance ruineuse à la domination récurrente des carburants fossiles qui grèvent le budget des familles et bloquent systémiquement le redéploiement structurant de l’économie québécoise. Ainsi, contrairement à ce qu’on peut lire dans  la politique énergétique du Québec 2030 (« L’énergie des québécois – source de croissance » p. 54), il n’est pas raisonnable de croire que le gaz naturel puisse être actuellement considéré au Québec comme une ‘énergie de transition profitable pour le Québec.’. Pour le domaine du transport des biens et des personnes par exemple, le recours du gaz naturel ne changerait strictement rien au  gaspillage énergétique scientifiquement documenté associé à l’inefficacité de conversion thermodynamique du moteur à combustion interne, sans réduire les émissions de GES associées à toute la chaîne du GN, liquéfié ou non, alors que l’électricité des nouvelles sources d’énergie renouvelables s’impose à l’évidence comme le substitut à prioriser sans délai pour ce secteur d’activité.

NB.  L’ « Énergiewende » a ainsi permis l’essor de l’industrie de l’éolien et du PV qu’on connaît aujourd’hui en favorisant notamment la propriété communautaire d’actifs de production et de distribution du secteur électricité. Elle a inspiré des centaines de juridictions à travers le monde en démontrant notamment la redoutable efficacité des mécanismes de tarifs d’achats garantis comme levier économique d’un redéploiement efficace et équitable d’une politique de  substitution énergétique. Pour prendre la mesure du demi-tour inscrit dans l’ADN de l’« ÉnergieWende », lire «  Energy Democracy; Germany’s ENERGIEWENDE to renewables » de C. Morris et A. Jungjohann, 437 p. 2016; ISBN 978-3-319-31890-5  ISBN 978-3-319-31891-2 (ebook) : http://arnejungjohann.de/energy-democracy/.

[10] voir : http://nouvelles.hydroquebec.com/fr/communiques-de-presse/1261/hydro-quebec-propose-diverses-options-pour-alimenter-le-massachusetts/ . Le qualificatif ‘extrême’ utilisé ici s’impose pour rendre compte du fait qu’Hydro-Québec propose désormais sur les marchés voisins des livraisons commerciales d’une envergure et d’une portée jamais vues depuis la création de la société d’État. La proposition NPT par exemple, déposée le 27 juillet 2017 par HQ dans le cadre d’un appel d’offres du Massachusets, assurerait la livraison, aux portes de Boston, de plus de 1000 MW de puissance ferme, en continu, représentant des livraisons annuelles d’hydroélectricité atteignant « jusqu’à 9,4 TWh par année » à partir de 2019 et ce, pendant 20 (vingt) ans. HQ en parle comme de « la plus importante  [soumission] de son histoire », un euphémisme qui balaie sous le tapis tous les risques qu’HQ fait courir à ses abonnés. En l’occurrence, si cette proposition d’HQ devait être retenue par le Massachusets ( décision: janvier 2018) l’histoire pourra retenir cette opération commerciale menée à l’emporte-pièce comme une reprise du lucratif contrat que le Québec avait finalisé en 1969 avec Terre-Neuve (NFLH concédait alors à Hydro-Québec jusqu’en 2041 la quasi-totalité de toute la production de la centrale Churchill Falls au Labrador) mais avec cette fois Hydro-Québec dans le rôle du vendeur à rabais. Malgré l’ampleur des enjeux commerciaux, patrimoniaux, financiers et tarifaires que constituent pour le Québec les projets d’exportations massives d’électricité dans lesquels la Société d’État fonce tête baissée, les risques réels de ces projets n’ont fait l’objet d’aucun débat public minimalement crédible au Québec, y inclus devant la Commission parlementaire qui a auditionné le Plan stratégique2016-2020 d’Hydro-Québec à Québec le 20 septembre 2016 à Québec (transcription:  http://m.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/capern-41-1/journal-debats/CAPERN-160920.html#debut_journal).

[11] 29 septembre 2017, Julien Arsenault – La Presse canadienne, http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/509212/pas-de-megaprojet-a-court-terme-pour-hydro-qui-se-prepare-quand-meme. À propos de la révolution de la décentralisation de la production d’électricité, le pdg d’Hydro-Québec indique que « si vous habitez à San Francisco, vous payez 42 ¢ le kilowattheure, comparativement à 8 ¢ au Québec. Nous avons les tarifs les moins élevés en Amérique du Nord. Cette révolution est beaucoup moins rapide [au Québec]. » Ce que M. Martel n’oserait pas avouer pour expliquer pourquoi la révolution énergétique fait du sur place au Québec, c’est qu’Hydro-Québec freine l’évolution technologique du système électrique québécois. À la fin de 2016, après plus de 10 ans de mise en œuvre de son programme d’autoproduction (aussi appelé programme de mesurage net), la société d’État décompte 124 adhésions officielles (PV à plus de 80%, mais aucune donnée sur la production annuelle  totale des contrats d’autoproduction qu’elle a signés; http://publicsde.regie-energie.qc.ca/projets/374/DocPrj/R-3972-2016-C-HQD-0004-Rapports-Dec-2016_12_20.pdf#page=61, Tableau 4, p.59 de 65). Bien que  ce programme ait démontré son incapacité à structurer quelque déploiement industriel crédible du solaire photovoltaïque (PV) ou du petit éolien au Québec, la Société d’État demande actuellement à la Régie de l’énergie de lui autoriser de restreindre davantage l’accès au programme de mesurage net en invoquant le « principe de la vérité des coûts » pour réduire le prix qu’elle acceptait de payer – depuis 2006 – aux abonnés résidentiels et commerciaux visés par son programme d’autoproduction (source: http://publicsde.regie-energie.qc.ca/projets/414/DocPrj/R-4011-2017-B-0047-Demande-Piece-2017_07_31.pdf, p.47-48 de 81). Le principe de la vérité des coûts est pourtant rarement évoqué par la société d’État comme argument d’équité tarifaire pour les abonnés captifs du Québec qui paient les généreux congés de tarifs que Québec reconduit bon an mal an, à huis clos, au bénéfice des grands consommateurs industriels d’électricité du Québec. 

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