
À 75 ans, face à la mort et en voyant s’accumuler les signes de mon vieillissement, je dois toujours donner sens à ma vie, même si les passions s’étiolent…
-Jean-Marc Piotte
Jean-Marc Piotte a été, plus qu’un professeur, un maître à penser pour de nombreuses cohortes d’étudiants à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Sans en avoir été, j’ai pu suivre l’évolution de sa réflexion sur la société québécoise à travers ses publications ou ses interventions publiques, une réflexion toujours empreinte de la recherche passionnée de la vérité, selon la définition classique qu’en donne l’université, mais jamais dénuée d’une certaine sagesse, apaisante et rassurante. N’est-ce pas ce que recherchent les Québécois et les Québécoises aujourd’hui : la passion pour notre nation; la sagesse pour notre avenir.
Le ton
Rarement a-t-on vu autant d’acrimonie dans les débats publics qu’en ce printemps 2017, quand Québec solidaire a refusé de s’allier au PQ en vue des prochaines élections, avec un petit avantage aux solidaires en matière de détestation. Les identitaires, eux, trop déçus et déprimés n’ont pu s’exprimer avec autant de conviction. La haine d’un côté; le mépris de l’autre. Du jamais vu depuis le printemps 2012.
Même la campagne référendaire de 1995 s’est déroulée dans un climat plus amène, empreint de civilité. N’en déplaise à ceux que les propos de Jacques Parizeau sur l’argent et les votes ethniques ont dérangés, si maladroit eût-il été, il a prononcé ces mots sur le ton d’un énoncé des faits et non comme une charge vengeresse contre des adversaires politiques.
Pourtant, il n’était tout récemment question que d’une alliance électorale dans les comtés prenables, pas d’une convergence idéologique. Mais c’est au-delà de la querelle partisane. C’est une chicane de famille, la pire sorte qui soit. Question d’héritage ou d’inceste? D’adultère et de divorce? Choisissez la sorte de haine que vous préférez.
Les Québécois ont déjà joué dans ce film où la gauche et la droite s’affrontent sur la question nationale. En 1968, René Lévesque, président du Mouvement souveraineté-association (MSA), a fondé le Parti québécois avec Gilles Grégoire, chef du Ralliement national, un ancien député du Crédit social à Ottawa et à Québec, très à droite sur l’échiquier politique. Lévesque n’avait pu s’entendre avec Pierre Bourgault, du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN). Grand démocrate, Lévesque ne traînait pas une réputation de grande indulgence pour les revendications criardes et les excès de la rue. Les 14 000 membres du RIN durent rallier le PQ individuellement, y compris M. Bourgault. QS a-t-il donc rédigé l’épitaphe du PQ ce printemps?
GND à la manœuvre?
Tout le monde a fait le rapprochement entre 2012 et 2017 à cause du personnage au centre des événements, Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE), au printemps 2012, et de Québec solidaire en 2017. Le nouveau député de Gouin a le don de rassembler sur sa personne tout ce que l’on aime ou déteste le plus, selon que l’on appartienne à l’un ou l’autre courant politique.
Lors du congrès de QS de mai 2017 ou pendant le Printemps érable en 2012, des instances démocratiques ont pris les décisions qui se sont imposées. À l’échelle d’un pays, c’est ce qui se rapproche le plus de la démocratie directe : des dirigeants se pliant aux volontés de leur base politique exprimées en congrès plutôt que de s’en servir pour relayer des politiques arrêtées au sommet. Dans les partis traditionnels ayant touché au pouvoir, tiraillés entre de puissants lobbys et les ambitions de politiciens de carrière, les dirigeants s’habituent à façonner la réalité selon leurs désirs. Mais nous nous attendons toujours à ce que ceux qui nous gouvernent le fassent au bénéfice de tous et non seulement pour préserver les intérêts de quelques-uns.
Nul Politburo occulte n’a manipulé les solidaires pour rejeter un concordat électoral. Principalement mises en cause pour cet échec retentissant : la charte de la laïcité, si mal amenée par Pauline Marois et Bernard Drainville, et, par association, d’imméritées accusations de racisme à l’endroit des identitaires.
Solidaires et identitaires sont malgré tout condamnés à réaliser l’indépendance ensemble. L’unité nationale, si nécessaire pour y parvenir, ne peut s’imposer de force. Nous, Québécois et Québécoises, sommes tous et toutes immigrants et immigrantes, ou leurs descendants et descendantes. Les Français ont débarqué ici, entre le XVIe et le XVIIIe siècle, formant une nouvelle nation dans un pays nouveau pour eux, occupant des terres qui ne leur appartenaient pas. Nous sommes aussi condamnés à nous entendre avec les Premières Nations pour l’occupation et l’exploitation de ces terres, même celles que nous considérons historiquement nôtres par droit de conquête ou droits acquis, que ce soit dans le Labrador, à Val-Bélair ou à Saint-Pascal-de-Kamouraska.
On ne dispute pas des goûts et des couleurs à table – ce n’est pas poli; ni, en politique, de sexe et de religion — c’est trop risqué. Que la passion des identitaires pour la nation s’allie donc plutôt à la sagesse des solidaires, pour sa concorde! Et inversement.