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Nous Terriens, étonnants bourlingueurs

Par Christine Portelance le 2017/07
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Nous Terriens, étonnants bourlingueurs

Par Christine Portelance le 2017/07

Il n’y a pas de plus bel été que celui que l’on espère. En revanche, une fois arrivé le solstice, on se remet à critiquer : pas assez chaud, trop pluvieux, trop de moustiques; ou encore, trop chaud, trop humide, pas assez de vent. Trop ou pas assez, cette forme d’insatisfaction incline les Montréalais à célébrer le 1er juillet en déménageant et a sûrement poussé Sapiens à quitter l’Afrique pour aller voir ailleurs. L’éternel insatisfait a fini par peupler les cinq continents.

Le temps des vacances est celui de l’homo touristicus : pour le sédentaire, c’est objectif bronzage; le grégaire préfère les voyages organisés; le collectionneur accumule les sites à visiter avec égoportraits et le sportif, le nombre de coups de pédale, de rames ou autres. Pour le camping, une vaste gamme : d’ultras motorisés aux babas cool randonneurs. Le tourisme, c’est surtout une industrie : au Québec, il y a 32 103 entreprises associées au tourisme, 349 100 emplois et des recettes de 13 milliards de dollars, mais les Québécois dépensent trois fois plus à l’extérieur que les voyageurs étrangers ici 1. Par ailleurs, l’homo touristicus est une espèce si envahissante — on ne compte plus les sites ravagés par le tourisme de masse et les cultures locales réduites à divertir le chaland, pensons à Angkor ou à Bali, — qu’on a créé en réaction le concept de tourisme écoresponsable.

Le voyage, c’est aussi une affaire de rencontres. Lorsque Sapiens débarque en Asie, il y croise les Dénisoviens (qui vécurent entre 1 million et 40 000 ans avant le présent); grâce à leur apport génétique, les Tibétains peuvent vivre en altitude où l’oxygène est raréfié. En s’installant en Europe, Sapiens a cohabité avec Néandertal, qu’on a longtemps pris pour une brute épaisse, mais dont on sait maintenant qu’il avait un cerveau plus gros que Sapiens et qu’il parlait. Nos gènes comprennent de 1 à 3 % de gènes néandertaliens, lesquels ont contribué à améliorer notre système immunitaire; au total, 20 % du génome néandertalien subsiste actuellement à travers nous. Nous pensions être seuls au sommet de la pyramide de l’évolution et voilà que la science nous apprend que Sapiens ne craignait pas l’altérité et copulait avec des hominidés dits « archaïques ».

En quelque deux millions d’années, l’outil a mené au langage symbolique, c’est pourquoi la main occupe une si grande aire de la cartographie du cerveau. Les Néandertaliens, vivant en petits groupes, pouvaient se comprendre en peu de mots; Sapiens, au contraire, affectionnait les grands groupes et c’est probablement ce qui a favorisé l’émergence d’un langage de plus en plus sophistiqué. La ferveur pour Internet indique que Sapiens a toujours cette propension à former de grands groupes et les mains agiles, si l’on considère la vitesse à laquelle s’agitent les pouces en textant. Quant à son vocabulaire… LOL!

Faute de traces écrites, on ne connaît rien des chants ou des récits de la préhistoire, mais la splendeur de Lascaux et d’Altamira nous permet d’en imaginer la richesse. Lascaux a été considérée comme l’aboutissement de l’art paléolithique jusqu’à la découverte de la grotte Chauvet qui montre que cet art achevé existait 20 000 ans plus tôt. En Égypte antique, le même mot était utilisé pour dessiner ou écrire, l’écriture étant ce qui rendait l’image agissante. L’écriture la plus ancienne n’a toutefois pas une origine artistique ou magique, mais marchande : les Sumériens l’ont inventée pour établir des listes d’inventaires et garder la trace de transactions. Quant à notre alphabet, il nous vient des Phéniciens, ces grands voyageurs de commerce. Mais pour la transmission de connaissances, quelle invention!

Sapiens est insatiable, facilement accro au jeu, à l’argent ou à son téléphone. Entre les profits éhontés des multinationales et le visionnage en rafale sur Netflix, on trouve le même appétit : « encore, encore! ». À voir les barons de l’économie mondiale siphonner les ressources et, sur nos routes, de fiers consommateurs au volant d’énormes véhicules énergivores, on dirait que certains croient qu’il suffira de changer de planète une fois les cendriers pleins.

La pire tare n’est toutefois pas la voracité, me semble-t-il, mais le fanatisme, qu’il soit religieux, politique ou idéologique. Teinté d’angélisme ou infecté par la peste émotionnelle de la victimisation. Que faire ou ne pas faire, pour éviter le pire? Des tourments d’un Hamlet à l’hésitation d’Arjuna, une même énigme, à la fois biologique, politique et spirituelle. 

1. Statistiques de 2014.

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