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La grève de Murdochville : il y a 60 ans

Par Sérissa Côté-Landry le 2017/07
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La grève de Murdochville : il y a 60 ans

Par Sérissa Côté-Landry le 2017/07

La grève des 900 ouvriers de la Gaspé Copper Mines Limited de Murdochville en 1957 a marqué l’histoire du travail au Québec. Longue et violente, cette grève n’a pas qu’une seule cause, mais l’élément déclencheur demeure la non-reconnaissance du droit d’association syndicale des mineurs par la compagnie Noranda qui a entre autres mené au congédiement du président du syndicat, Théo Gagné, en mars 1957. Pendant plus de sept mois, ce conflit de travail a opposé la Gaspé Copper Mines  Limited, une filiale de la Noranda Mines située dans la petite « Company Town » de Murdochville en Gaspésie, à la section locale 4881 du syndicat des Métallurgistes unis d’Amérique, affiliée à la Fédération des travailleurs du Québec.

Située en plein cœur de la Gaspésie, Murdochville est physiquement éloignée de la métropole et, par le fait même, des grands bassins de population, en plus d’être sous la domination de la Noranda Mines, le principal employeur. Malgré cet éloignement, de nombreux travailleurs québécois se sont sentis solidaires de leurs confrères gaspésiens et ont appuyé leur cause. En fait, cette grève a rapidement débordé des frontières de Murdochville pour revêtir une importance capitale dans l’histoire du travail et des syndicats au Québec. La grève de Murdochville marque notamment la naissance officielle de la FTQ en tant que centrale syndicale combative puisque la centrale n’est en activité que depuis quelques mois quand le conflit éclate. Cette grève s’inscrit également dans le contexte bien particulier des années 1950, durant lesquelles l’activisme syndical québécois évolue déjà dans une perspective « sociale-démocrate » et où les syndicats travaillent activement à améliorer les conditions de vie des travailleurs québécois et à obtenir plus de liberté ainsi que la reconnaissance syndicale de la part de l’État. Faut-il rappeler l’antisyndicalisme de Maurice Duplessis et la psychose anticommuniste qui souffle alors sur l’Amérique du Nord dans son ensemble?

La grève paralyse pendant quelques mois la vie économique et sociale du nord de la Gaspésie et a des répercussions un peu partout dans la province en plus de mener à la mort de deux grévistes : Hervé Bernatchez, lors d’une tentative de sabotage pour mettre fin à la production assurée par les « scabs » embauchés par la compagnie, et Edgar Fortin, mort d’une crise cardiaque après avoir été poursuivi par les « agents de sécurité » de la Noranda.

Cette grève illégale est encore reconnue aujourd’hui comme l’un des conflits de travail les plus importants et les plus lourds de conséquences qui se soient produits au Québec puisqu’il a provoqué des manifestations de solidarité intersyndicale parmi les plus imposantes des années 1940-1950. Le 19 août, une marche de 500 grévistes et de personnalités politiques et syndicales (les Marchand, Laberge, Chartrand, Trudeau et Lévesque de ce monde notamment) fait la manchette. Cet élan de solidarité se traduit par une aide financière et morale aux grévistes et à leur famille provenant des organisations syndicales québécoises et canadiennes, par des dénonciations massives du régime de Duplessis, par une unification des syndicats pour appuyer les grévistes et par des manifestations de travailleurs un peu partout dans la province. D’ailleurs, un des moments forts de la grève est la marche vers l’Assemblée nationale, le 2 septembre, organisée par la FTQ et la CTCC. Plus de 7 000 travailleurs québécois viennent appuyer les grévistes de Murdochville et protester contre l’antisyndicalisme du gouvernement Duplessis. L’Église catholique, encore un acteur influent au Québec, a quant à elle refusé de donner son appui aux grévistes de Murdochville.

La grève de Murdochville, tout comme celle d’Asbestos une décennie plus tôt et également fortement médiatisée, nous permet de mieux saisir les paramètres de l’histoire syndicale du Québec de l’après-guerre. Les résultats concrets et immédiats du conflit de 1957 sont limités; pire, le sort réservé aux grévistes après la grève est désolant. En effet, 250 ouvriers mineurs ne sont pas réengagés le 5 octobre, au lendemain de la grève; la compagnie garde à son emploi de nombreux briseurs de grève et inflige des sanctions à ses employés. À long et à moyen terme toutefois, cette grève s’impose comme un moment pivot sur le plan de la solidarité et de la reconnaissance syndicale au Québec. Ainsi, Sauvé, qui succède à Duplessis en 1959, légifère pour empêcher les entreprises de sanctionner leurs employés pour activités syndicales; Lesage, en 1964, vient clarifier les modalités de la reconnaissance syndicale dans le nouveau Code du travail. Dernière conséquence, et non la moindre, la grève a également mis à l’avant-scène, pour un temps du moins, cette Gaspésie de travailleurs prêts à se battre pour exister. 

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