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1958 : une première grève étudiante au Québec

Par Karine Hébert le 2017/07
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1958 : une première grève étudiante au Québec

Par Karine Hébert le 2017/07

Avec ses centaines de milliers d’étudiants dans les rues du Québec, de Montréal à Rimouski, la grève étudiante de 2012 a marqué les esprits. On se souvient aussi de celle de 2005, de la manifestation pour un McGill français en 1969. Mais déjà en 1958, les étudiants québécois déclenchaient une grève d’une journée pour réclamer un meilleur financement des universités et un accès plus juste aux études supérieures. Plus ça change, plus c’est pareil…

Une telle manifestation de solidarité n’est pas le fruit d’une génération spontanée. Les associations étudiantes québécoises se structurent durant le 20e siècle, des journaux étudiants sont fondés. Des manifestations se succèdent à la faveur d’événements marquants, comme lors des crises de la conscription ou au moment d’une hausse des tarifs de tramways. D’autres événements moins glorieux à tendance antisémite ponctuent les années noires de la crise économique. Mais il faut attendre les années qui suivent la Deuxième Guerre mondiale pour voir émerger des conditions facilitant la convergence des forces étudiantes.

Déjà la question du financement universitaire

Après la guerre, le gouvernement canadien offre aux anciens combattants la possibilité de poursuivre des études universitaires afin de les aider à reprendre pied dans la vie civile. Les universités canadiennes bénéficient du coup d’un apport important d’étudiants et de financement. Au moment où les anciens combattants terminent leur formation, le financement fédéral prend fin. Entre-temps, les étudiants et les étudiantes ont été nombreux à s’inscrire dans les universités et celles-ci se sont engagées de manière croissante en recherche. La pression sur les infrastructures des institutions d’études supérieures devient donc difficile à gérer. Pour l’alléger, le gouvernement fédéral propose de poursuivre son financement, ce qui est loin de faire l’affaire du gouvernement autonomiste de Maurice Duplessis, qui oblige les universités à refuser l’offre.

Les étudiants sont sensibles à la situation précaire des universités, d’autant que McGill décide de pallier le manque à gagner par une hausse de ses droits de scolarité. La réponse fuse rapidement : pour la première fois, un front commun des étudiants se dessine. Soulignons que depuis la fin de la guerre, les étudiants avaient été nombreux à se questionner sur leur rôle dans la société et à vouloir y prendre une part grandissante. Ceux de l’Université de Montréal, par exemple, avaient déposé un mémoire à la commission Tremblay (1954) en se positionnant comme de « jeunes travailleurs intellectuels », influencés en cela par les étudiants français qui avaient proposé ce concept pour s’affirmer comme une force agissante dans une société en pleine reconstruction. À cela se greffent une sensibilité croissante à l’endroit de la classe ouvrière et une volonté évidente, pour certains, d’ouvrir les portes de l’université à ceux qui avaient du talent, plutôt que simplement de l’argent.

Un manifeste pour Duplessis

Les étudiants québécois se regroupent en coalition temporaire en 1958. Il en résulte un manifeste pour demander à Duplessis d’assurer un financement stable et statutaire aux universités, d’accorder un siège aux étudiants dans le comité chargé d’examiner la question et de développer un véritable programme de bourses pour les étudiants. Devant l’indifférence du premier ministre, les étudiants décident de déclencher une grève le 6 mars 1958. Cinq des six universités québécoises observent cette journée de grève, organisent des conférences et érigent des barricades sur certains campus, etc.

À la fin de la journée, l’association étudiante de l’Université de Montréal confie à trois étudiants, Francine Laurendeau, Bruno Meloche et Jean-Pierre Goyer, le mandat d’aller porter en main propre le manifeste des étudiants à Maurice Duplessis. S’amorce une veille quotidienne de près de deux mois, durant lesquels ceux qu’on a surnommés les « Trois1 » vont tenter, en vain, d’obtenir une audience de la part du premier ministre. Ce n’est finalement qu’en décembre 1958 que Duplessis accepte de rencontrer les représentants officiels des associations étudiantes, mais il refuse de discuter avec eux du financement des universités, leur recommandant de laisser les adultes s’en occuper…

Au final, la grève de 1958 n’a pas eu de résultats immédiats. La crise du financement des universités ne se réglera qu’au cours des années soixante et de manière bien temporaire. Sur le plan symbolique, toutefois, cette première journée de mobilisation marque le début d’un mouvement concerté et, pour certains étudiants et certaines étudiantes, confirme leur conviction d’avoir un rôle à jouer dans le concert démocratique du Québec.

À partir de la fin des années soixante, les revendications étudiantes se multiplient. Certaines tirent leurs origines des difficultés financières des étudiants; d’autres ont une portée plus large, qu’elle soit nationale et « ouvrière » en 1968-69, ou mondiale et environnementale comme lors du Sommet de Québec en 2000. Mais force est de constater que depuis 1958, les grands débats de société qui agitent le Québec ne peuvent faire l’économie de la jeunesse, et les étudiants se chargent ponctuellement de le rappeler…

1. À ce propos, voir le très bon documentaire de Jean-Claude Labrecque, L’histoire des Trois, Office national du film, 1990, 1 h 14 min.

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