
Les enthousiastes commencent à devenir intéressants
quand ils sont confrontés à l’échec et que
la désillusion les rend humains.
– Cioran
À la croisée des chemins entre le carnet de voyage, le récit biographique et le reportage, Comment je ne suis pas devenu moine est un incontournable pour tout lecteur qui se respecte. Non, les bandes dessinées ne sont plus juste pour les enfants. Comme les Delisle et Sacco l’ont montré ces dernières années, le neuvième art peut aussi nous rendre plus intelligents, voire, comme c’est ici le cas, plus sages.
Les gens qui souffrent rêvent tous un jour ou l’autre d’une utopie. Dans la vie de Jean-Sébastien Bérubé, cette utopie se trouvait quelque part entre le Népal et le Tibet, là où se trouve l’alma mater de la sagesse avec un grand « S », de cette philosophie du respect de soi et des autres qu’est le bouddhisme. C’est donc porté par le rêve d’être libéré de la souffrance qu’il en est venu à fréquenter un temple bouddhiste montréalais avant de s’envoler vers le Népal en 2005. Commence alors un voyage au pays du désenchantement et de la désillusion.
Pour Bérubé, comme pour le lecteur qui l’accompagne tout au long de son périple, le choc est terrible. Là où on croyait découvrir un monde à l’opposé des valeurs mercantilistes et individualistes qui caractérisent l’Occident, on découvre plutôt un univers miné par les vices qui taraudent notre société, où le chacun pour soi passe encore avant le don de soi. Sur ce chemin, le jeune homme subira l’humiliation, l’exploitation et les mensonges qui remettront en question le Tibet utopique dont il rêvait. Comme le souligne un des personnages croisés par Bérubé, on rencontre dans un monastère bouddhiste tout ce que l’on trouve dans un monastère chrétien : « la jalousie, la calomnie, la haine, la violence et les abus sexuels […] On idéalise les moines tibétains et le dalaï-lama, mais en réalité ils sont des êtres humains comme tout le monde ».
Au terme de son voyage, raconté avec intelligence et sincérité, celui qui n’est pas devenu moine nous incite à dépasser le mythe alimenté par des « rock stars » cherchant à donner un sens à leur vie, pour nous amener à entrer dans un monde plus nuancé, où tout n’est jamais complètement blanc ou noir, où le grandiose côtoie l’imperfection. Le scénario de Bérubé est nourri par des illustrations riches en détails. Au fil des pages, sa plume nous permet de découvrir les cités et les temples emblématiques du Tibet et du Népal, même si à l’image de son propos, le dessin de Bérubé se veut tout en nuances, en entremêlant le blanc et le noir pour évoquer un monde tantôt cruel, tantôt chaleureux. Au terme du voyage, on se dit qu’on tient dans ses mains une bande dessinée marquante de la décennie. On se rappelle aussi cette phrase de Victor Hugo : « Les désillusions se détendent comme l’arc, avec une force sinistre, et jettent l’homme, cette flèche, vers le vrai. » (L’homme qui rit, 1869)
Jean-Sébastien Bérubé, Comment je ne suis pas devenu moine, Futuropolis, 2017, 238 pages.