
Depuis quelques années, quand je bois un peu trop, je fais toujours la même blague à mes amis et amies littéraires. Je prends mon coton ouaté (j’en ai toujours un, vent du fleuve oblige), le mets en cape et laisse retomber les manches sur ma poitrine. Ensuite, je dis : « Regardez, je suis un poète du Noroît. » Je vous garantis des rires, surtout si la sangria est forte.
Le Noroît, pour moi, c’est un peu l’image du poète cultivé, distingué et, un peu, il faut le dire, ampoulé. Être publié au Noroît, c’est prestigieux, cela garantit presque une nomination aux GG ou au prix Émile-Nelligan ou parfois même aux deux.
Mais le problème d’une telle image éditoriale, c’est qu’elle vieillit, alors que le lectorat, lui, est de plus en plus jeune. Vous ne me croyez pas? Regardez la moyenne d’âge du catalogue des éditions de l’Écrou, de la Tournure, de Poètes de brousse et de La Peuplade. Ces poètes et poétesses ont à peine trente ans, parfois vingt, et dévorent de la poésie comme d’autres des « juniors au poulet ».
Que doit-on faire alors? Eh bien, s’adapter et aller chercher la poésie là où on ne va plus si souvent : dans le bois. C’est là que se trouve la poésie brute, pure, celle d’Alex Dostie, de Mathieu Simoneau (publié lui aussi au Noroît) et maintenant celle de Jean-Philippe Chabot.
Dans Comment finissent les arbres, Chabot utilise un langage « vrai » qui s’apparente à celui du conteur :
enjamber le ruisseau via
le tuyau à têtards avant de tomber sur la gravelle.
bading! badang! nul n’est obligé de tomber au sens
propre mais tous en ont la possibilité.
Mais parfois, ce langage sonne moins bien comme dans ce passage :
enfants Vanessa et moi en tenues d’été voyons nos
identités. dans sa vulve je mets une cocotte – autour
pousse un immense pin – et un motton de glu blême
à mon souvenir en ressort.
Cependant, ce n’est pas vraiment le langage qui me dérange, mais plutôt la façon dont il est employé; j’aime les métaphores et le détournement de sens d’un geste sexuel. Seulement, je ne peux pas m’empêcher de me dire que la vulve, c’est la partie extérieure du sexe féminin, donc, théoriquement, on ne peut rien mettre « dedans ». Est-ce voulu? Est-ce que « vagin » est encore un mot proscrit pour les livres du Noroît? Mystère.
Autrement, Chabot frappe fort avec son mélange de langage soutenu et populaire. Comme si parfois, le meilleur mot n’est pas nécessairement celui des grandes écoles :
dent de scie
tirant je pousse
on va l’avoir l’ostie
on scie autant de troncs qu’il en a poussé
depuis le temps que poussent les arbres
tant pour finir le campe
cette plate-forme sur laquelle
on ne montera jamais
Enfant d’une terre de pins, je me suis reconnu dans la plupart des poèmes, même que je pourrais dire que j’y étais, dans ces histoires racontées, mais « le souvenir n’est pas clair ce pourrait être autre chose ».
Jean-Philippe Chabot, Comment finissent les arbres, Le Noroît, 2017, 130 p.