Actualité

La tempête

Par Christine Portelance le 2017/03
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La tempête

Par Christine Portelance le 2017/03

« Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves et notre petite vie est entourée de sommeil. »

– William Shakespeare

 J’ai lu dans Slate.fr qu’on citait abondamment Gramsci ces jours-ci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Depuis Charlie Hebdo, j’avais l’impression que le monde basculait peu à peu vers quelque chose d’effrayant. Le 29 janvier m’a frappée en plein cœur, la tourmente m’a donné envie de chercher réconfort dans la relecture d’une tragicomédie de Shakespeare.

Dans La Tempête, pour que l’humain se réconcilie avec la part d’ombre en lui et vive en paix, trois mondes s’entrechoquent : le pouvoir des puissants, avec son cortège de duperie, d’asservissement et de trahison; le pouvoir des illusions, qui distille l’aveuglement et cause le naufrage; et enfin, le pouvoir de l’amour, qui engendrera une nouvelle alliance et le pardon des fautes.

Comme on le sait, un système stable ne se transforme pas; or nous avons besoin d’un sérieux coup de barre pour sortir de l’emprise de la croissance à tout prix. Dès lors, la tempête peut être vue comme une transition vers ce « Brave New World », car elle oblige à sortir de la torpeur et provoque un sursaut de conscience providentiel.

Prophètes de malheur et fabrique de l’ennemi

Les périodes de fortes houles sont facilement anxiogènes. Pour lutter contre un sentiment de peur diffus, il est tentant de se construire un ennemi, qui en devient la cause. Il faut donc se méfier des fabricants d’ennemis, dont Trump est le prototype grossi à la loupe. Il faut dénoncer, sobrement, mais fermement, les propos racistes, misogynes, haineux, car « liberté d’expression » ne signifie pas « absence de responsabilités ». Pour l’esprit fragile qui vit l’altérité comme un danger, tout ce qui peut alimenter cette construction mentale sera assimilé.

Comment sonner la fin du cirque électoral?

Comme beaucoup, je rêve de voir disparaître l’électoralisme : les promesses qu’on n’a jamais eu l’intention de tenir (réforme électorale), les programmes (d’austérité) qu’on ne révèle qu’une fois élu et les politiques de « tinamis » (médecins et autres entrepreneurs). Se dire un parti souverainiste sans l’être vraiment (QS), être indépendantiste sans l’assumer (PQ).

Et le bien commun, bordel!

Pendant ce temps, la majorité des recommandations du rapport Bouchard-Taylor sont restées lettre morte. Une frange de la population vivait un sentiment d’insécurité : difficile d’être accueillant quand on ne se sent pas soi-même en sécurité. La peur de disparaître a des racines profondes ici; il ne faut ni nier ni aviver cette peur. Or à l’Assemblée nationale, les partis ont fait les deux. Et l’on doit tout reprendre à zéro parce que cela sert la stratégie électorale sauce Couillard.

Va-t-on un jour réformer ce parlementarisme désuet, hérité des Britanniques, favorisant l’invective et les affrontements stériles?

Pluralisme et complexité

Du Big Bang jusqu’à la formation de notre système solaire, des premiers outils de l’homo habilis jusqu’aux ordinateurs, l’évolution implique une complexité toujours plus grande. L’uniformisation est contraire à la vie et, à moins de vivre dans une bulle, nous devons apprendre à composer avec la pluralité des individus.

La foi religieuse, l’orientation sexuelle, les préférences culinaires, entre autres, appartiennent à la sphère privée. Pour que la liberté individuelle s’exerce pour tous, il faut toutefois s’accommoder de la vie en société : accepter d’être soigné indifféremment par un homme ou une femme, accepter que nos enfants aient des amis qui ont deux papas ou deux mamans, qu’il n’y ait pas de menu végétalien dans tous les restaurants et qu’à la garderie les employées arborent un foulard, des cheveux roses, des tatouages ou des piercings.

Au lieu de lister les différences, tel LGBTTIQQ2S… XYZ, essayons de voir l’humain dans l’humain. C’est ce que la tragédie de la mosquée de Québec aura contribué à nous apprendre.

Il faudrait passer de la technosphère, en train d’épuiser la planète, à la noosphère, cette conscience planétaire. Comment? En comprenant que la coexistence, la coopération, le commensalisme et la symbiose ont joué dans l’évolution un plus grand rôle que la compétition.

Nous pouvons aussi continuer nos petites vies ensommeillées, homo bien nourri, bien diverti et de moins en moins « sapiens ». Pour ma part, j’aime croire aux gouttes d’eau qui deviennent des fleuves. J’aime aussi les histoires de papillons : de Zhuangzi à Bradbury.

Puisse le 29 janvier 2017 être ce jour où nos yeux ont commencé à se dessiller…

 

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