
Scientifiques, environnementalistes et citoyens s’opposent aux hydrocarbures depuis des décennies. Toutefois, les décideurs semblent atteints d’un déficit cognitif concernant les changements climatiques, et l’industrie pétrolière nie les impacts des combustibles fossiles. Pourtant, cette problématique est connue depuis 1827. Les motivations économiques peuvent peut-être s’expliquer par la psychologie de l’argent…
Les faits demeurent sans équivoque : 9 200 études scientifiques démontrent que les gaz à effet de serre (GES) provoquent un réchauffement accéléré du climat. La concentration de gaz carbonique dans l’air dépasse 400 ppm alors que la moyenne est de 285 ppm depuis 400 000 ans. Les émissions mondiales ont crû de 2 475 % entre 1890 et 2010. Le cinquième rapport du GIEC estime l’augmentation de l’ordre de 1 milliard de tonnes par an entre 2000 et 2010.
Au Canada, la production des sables bitumineux a doublé entre 2005 et 2015. L’industrie prévoit l’accroître de 35 % d’ici 2020 et la doubler encore d’ici 2030. L’extraction, le traitement, le transport, le raffinage et la combustion des sables bitumineux canadiens émettent à l’échelle mondiale 600 kg de GES par baril.
Pour alimenter les infrastructures de transport au Québec, il faudrait extraire 537,5 millions de barils de pétrole de plus par année, dont 401,5 millions seraient acheminés par le pipeline Énergie Est de TransCanada et 136 millions seraient transportés quotidiennement vers Belledune par deux convois ferroviaires totalisant 240 wagons. Ce volume de pétrole représente 325 millions de tonnes d’émission mondiale de GES!
La croissance des sables bitumineux pourrait atteindre 1,7 milliard de barils par année en 2020. Cette production émettrait 102 millions de tonnes de GES. Les nouveaux pipelines ajouteraient plus de 11 000 km de tuyaux à travers l’Amérique du Nord. Le transport par train parcourrait près de 52 000 km de voies ferrées chaque année avec plus de 2 000 convois de 100 wagons, dont 800 au Canada et 1 500 aux États-Unis.
La quasi-totalité du brut serait exportée, car le Canada souhaite se débarrasser des émissions de GES, mais le pays serait inévitablement responsable de favoriser des émissions annuelles de 37 millions de tonnes de GES pour le raffinage et de 869 millions de tonnes pour la combustion. La responsabilité climatique du Canada atteindrait ainsi un milliard de tonnes de GES par année dès 2020.
La Terre est une exception statistique. Ses conditions environnementales ont favorisé l’apparition de la vie. L’humain est devenu une espèce envahissante dont les activités affectent dangereusement l’équilibre de la planète. Ses comportements résultent d’une organisation sociale déficiente élaborée au fil de son évolution. Ses choix de société proviennent de carences en connaissances scientifiques. Sa culture refuse d’intégrer la science au fonctionnement politique et économique de la société. Son intelligence est irrationnelle.
Malgré ces faits, le Québec persiste dans sa volonté d’explorer et d’exploiter les hydrocarbures, et le Canada poursuit sa course dans la croissance des sables bitumineux. L’intelligence politique, si elle existe, ne peut réglementer les hydrocarbures que d’une seule et simple manière : l’interdiction!
Stéphane Brousseau est directeur de recherche, B.Sc. Géologie, analyste et architecte en technologies de l’information et des communications et chercheur en anthropocène et architecture de société durable.