
Vivre en milieu rural, c’est résister. C’est se positionner contre l’idée que l’urbain montrera la voie au rural, que le rural en tant que « région ressources » sert à nourrir le centre. Si le simple fait d’habiter sur un territoire place le citoyen en position de résistance, certains groupes innovent à travers le renouvellement d’une réflexion territoriale collective qui passe souvent inaperçue. Réfléchir, redéfinir, réaffirmer un vivre ensemble collectif est au cœur d’initiatives comme les écovillages.
La pérennité du monde rural nécessite une mobilisation sociale locale et une pluralité de stratégies d’actions à l’intérieur et à l’extérieur des institutions politiques traditionnelles. Les écovillages, par leur établissement sur les territoires ruraux, deviennent l’expression d’un mouvement social rural visant l’appropriation de l’espace par une communauté élargie.
Les écovillages sont un regroupement d’individus souhaitant expérimenter, en ville comme à la campagne, d’autres formes de vie collective que le modèle dominant actuel. Pour ce faire, les résidents des écovillages tentent, d’une part, de réharmoniser les rapports entre les humains et la nature en intégrant une dimension écologique à leurs décisions. D’autre part, leurs rapports humains se veulent non hiérarchiques et mettent en pratique l’autogestion, dans l’esprit d’une réappropriation du politique par les individus sans pour autant imposer le choix de la majorité ou créer une hiérarchie entre les décisions.
Les écovillages sont loin d’être monochromes. Loin de la caricature du jeune hippie aux cheveux longs, les visages de ces communautés sont multiples. Les habitantes et les habitants, de tout âge et de tout horizon, ont des passés multiples. Ces individus sont diplômés ou autodidactes, nourrissent des passions, des combats ainsi que des rencontres sociales et culturelles. Puisque chaque écovillage se définit par lui-même, chacun d’eux est unique.
Des écovillages dans l’Est-du-Québec?
L’État québécois, par ses politiques, ne cesse d’attaquer les institutions territoriales : d’une part, par la disparition d’instances régionales et, d’autre part, par l’accumulation de mandats confiés aux petites municipalités qui ne disposent pas toujours des outils nécessaires. Les écovillages participent, quant à eux, à la valorisation des territoires. Connues et moins connues, plusieurs initiatives collectives se sont développées dans l’Est-du-Québec. Certains projets prennent la forme d’un simple groupe de propriétaires terriens et d’autres, de coopératives d’habitation. Certains participants se disent ouvertement engagés dans des luttes antiautoritaires alors que d’autres misent davantage sur le développement territorial.
Les écovillages de l’Est-du-Québec proposent des initiatives citoyennes concrètes comme des collectes en circuits courts de produits alimentaires et de matières compostables ou encore servent d’attrait pour les nouveaux arrivants. Dans l’Est-du-Québec, ces initiatives collectives sont des vecteurs d’information lorsqu’il est question de l’exploitation des ressources naturelles ou d’agriculture biologique. Les écovillages remettent en question les limites des jeux politiques actuels et participent à la construction du politique hors de la politique.
Il faut également souligner que la ruralité est souvent teintée de crises liées au fait qu’en plus des querelles de clochers, l’arrivée de néo-ruraux crée un déséquilibre social. La cohabitation entre les populations locales et les néo-ruraux est toujours une question délicate. Pourtant, en plus d’entraîner un apport démographique, les écovillages, selon leur degré d’ouverture, parviennent à créer des réseaux alternatifs locaux où les rencontres face à face sont favorisées et où se tissent des liens ancrés dans le milieu. On a même vu se recréer des petites places de village.
Loin de la vie en autarcie, les écovillages de l’Est-du-Québec font naître des projets entrepreneuriaux souvent liés à l’économie sociale et solidaire. Ce sont des lieux d’émergence et des incubateurs d’innovation. Sans se cloisonner dans le domaine alimentaire (création de pousses alimentaires, de café ou de produits maraîchers), les écovillages sont aussi porteurs de projets éducatifs, techniques et culturels. Devenant des modèles sur les territoires où ils évoluent, ces activités économiques permettent de véhiculer des exemples locaux d’entrepreneuriat en travail collectif soutenu par la communauté.
Malgré tous les apports des écovillages à nos territoires, il est indispensable de rappeler que ces initiatives de petite échelle n’ont pas la prétention de tout changer, mais espèrent éveiller les débats sur une société à construire. Cherchant à rendre vivant et solidaire le milieu dans lequel ils évoluent, les écovillages participent à la consolidation des territoires ruraux. Ils tissent patiemment l’horizon d’un avenir collectif dans l’espoir de renverser la raison centralisatrice de l’État.