Silence is gold. Duct tape is silver.
Lu dans des toilettes à St. John’s
Pour un road trip, la recette est simple, chers amis : du café, de la musique et une destination quelconque. Ayant tout ça dans notre besace, mon amie Morgane et moi avons pris d’assaut la route vers Terre-Neuve. Pourquoi Terre-Neuve? On rêvait de voir la capitale du porno au Canada. Le Budapest canadien! Ben non. Je cabotine. Nous avions envie de voir des villages de pêcheurs, de manger des fruits de mer et de ne pas nous faire chier avec « des activités à faire ou des choses à voir ». Du genre aller à Paris et voir la tour Eiffel. Crissez-moé patience avec ces circuits touristiques de cage à poules. Le stress du voyageur qui ne veut rien rater et qui, une fois de retour de pérégrination, s’arracherait les cheveux d’entendre « T’es allé là pis t’as pas visité ça?!?!? » On voulait juste être ailleurs. Rien voir en particulier. On a crissé Le Routard par la fenêtre et j’ai mis ma casquette de capitaine de bateau.
J’étais bien heureux que Morgane la bilingue vienne avec moi, car mon anglais de toaster rimouskois me permet seulement de dire : « Yes, we can! », « Hello, my lord. », « How much for this pig? » et « Hablo un poco de Inglés. » L’essentiel pour se débrouiller en voyage, mais pas suffisant pour demander les chiottes au Dixie Lee. Morgane avait l’anglais et moi, le permis de conduire : deux gripettes en cavale à bord d’un vieux Vitara.
Après des centaines de kilomètres sur la route et sur l’eau, notre première halte du voyage : Gros-Morne sur la côte ouest de l’île. Le guide de voyage Ulysse (qu’on a racheté à bord du bateau, finalement) nous disait qu’il fallait absolument voir L’Anse aux Meadows où se trouvent des vestiges de Vikings, site protégé par l’UNESCO (non, pas celui qui a écrit La cantatrice chauve). Pas si mal. On a appris plein de choses grâce à notre guide qui a amorcé la visite par « Ma mère est québécoise et mon père est scandinave, mais y s’est pendu quand j’avais 18 ans. Bonne visite! » De un, ce sont les Scandinaves qui sont les premiers Européens à avoir mis le nez en Amérique. 500 ans avant Ti-Christophe. Le mot viking est un verbe d’action qui signifie « explorer, piller », bref une belle bande de curieux-senteux-péteux qui disent pas non à un petit coup de hache dans une fontanelle. De deux, les gens jettent leurs butchs de cigarette n’importe où, même sur un site archéologique protégé par l’UNESCO. Quand tu jettes ton vieux restant de clope sur un endroit classé patrimoine mondial appartenant à l’Humanité… Ciboire… Tu dois être du genre à te servir de l’Épipen de tes enfants comme cure-dents, du Saint-Graal pour boire de la Root beer ou à faire un selfie avec la graine à l’air devant le Taj Mahal. De trois, l’âge moyen des touristes à Terre-Neuve est très élevé. Quand notre inénarrable guide nous a montré la place où les Scandinaves ont débarqué en l’an mil, plusieurs touristes ont répondu : « C’est vrai, j’y étais. » Évidemment, dans ce superbe coin de pays, tout porte le nom de « Viking ». Y’a même un petit centre d’achat : le Viking Mall. C’est l’endroit le plus triste du monde. Comme si, à l’époque, le Carrefour de Rimouski avait couché avec le bar L’Émotion de L’Isle-Verte pour accoucher du Viking Mall. Même les Scandinaves auraient rien acheté là-bas, sauf le désespoir et des crottes de fromage.
De nouveau sur la route. Parfois, on jase. Parfois, on contemple les paysages mirifiques qui donnent une leçon de modestie. Quand le vent nous fait tanguer et que la vue de l’océan nous avale, on ne roule pas, on vole! Faire du char à Terre-Neuve, c’est comme aller à l’église : une paix intérieure nous prend au ventre à nous faire confesser nos péchés. Et on croise des villages aux noms poétiques : Nameless, Dildo, Come by Chance. Rien à envier au lac Titicaca.
Twillingate est un ancien village de pêcheurs reconverti en attrape-touristes à la suite du déclin de la pêche à la morue. Dans ce bled où tous les hébergements indiquaient no vacancy, nous avons soupé au Beef Jerky et dormi dans le char avec la glacière pleine de bières. Nous étions millionnaires.
Après avoir entendu des sagas de Vikings explorant l’enfer salé et des histoires de pêcheurs basques traversant l’océan pour l’eldorado du poisson, je me sens un bien petit homme avec mon GPS et ma casquette de capitaine. Comme disait Alfred Desrochers : « Je suis un fils déchu de race surhumaine. »… sauf au Viking Mall.