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Refaire le monde en marge des institutions ?

Par Raymond Beaudry le 2016/09
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Refaire le monde en marge des institutions ?

Par Raymond Beaudry le 2016/09

Depuis l’an dernier, un groupe de jeunes habitent l’Auberge de la grève à Rivière-Trois-Pistoles. Ils partagent leur quotidien dans un esprit de vie en communauté tout en s’adonnant à des activités artistiques et à un engagement militant pour les actions collectives, tout particulièrement les enjeux environnementaux.

Ces jeunes ont créé le collectif Le Récif, un OBNL dont l’objectif est de « créer un réseau de personnes intéressées par l’autonomie régionale. En créant des espaces de rencontres […], nous apprenons à construire un avenir collectif qui nous ressemble. » Ainsi, le collectif a organisé, durant le mois de juillet, le festival La Cueillette des savoirs dans l’intention de se donner un espace d’éducation populaire où les individus sont invités à partager leurs connaissances et leur expérience sur les pratiques artistiques, l’éducation alternative, la vie en communauté, les résistances, les stratégies de mobilisation, les journaux indépendants, les réseaux sociaux, les luttes environnementales et territoriales. Le festival explorait quatre thématiques : l’éducation alternative, les enjeux environnementaux, l’autonomie alimentaire et les bienfaits de l’art. J’ai principalement participé à quelques activités concernant les deux premières thématiques.

Sur la thématique de l’éducation alternative, deux intervenantes ont exposé pourquoi elles ont décidé d’opter pour l’école à la maison. Leur décision repose essentiellement sur une critique du système d’éducation, notamment son incapacité à offrir aux enfants des programmes qui permettent un développement autonome et socio-affectif adéquat.

Un autre atelier portait sur la création de « communautés intentionnelles » : une forme de vie communautaire où l’on partage des valeurs et un but communs. Ces communautés, dont plusieurs s’inspirent du modèle d’écovillage comme la Cité écologique de Ham-Nord, sont des regroupements d’individus qui cherchent à vivre autrement, en marge du système capitaliste, tout en défendant des pratiques et des modes de vie en rupture avec l’idée du progrès, de la production, du travail et de la société de consommation. Enchantées par l’expérience de la commune de Twin Oaks en Virginie, deux participantes sont venues témoigner de leur décision de réaliser un projet de vie communautaire en Gaspésie avec trois autres personnes. Si l’intention est de vivre en autosuffisance, le projet vise aussi des actions mensuelles comme le mois sans pétrole, le mois des services de voisinage, le mois de l’autonomie énergétique.

Dans cette même perspective, une autre intervenante a relaté son expérience sur la thématique du « vivre ensemble », compris comme une façon de créer des relations d’entraide entre les générations, de réduire les clivages générationnels et les inégalités, mais aussi de renouer avec l’appartenance à la communauté afin de contrer l’individualisme, entendu comme un changement anthropologique radical dans l’histoire de l’humanité.

Sur la thématique des enjeux environnementaux, un groupe de jeunes est venu parler d’un séjour sur le site du bocage à Notre-Dame-des-Landes, en France, et a retracé les enjeux de la lutte que les citoyennes et les citoyens ont menée contre la construction d’un aéroport, projet qui a mobilisé les populations locales et créé un immense campement autogéré où la lutte se poursuit encore aujourd’hui. Une occupation du territoire qui a généré de multiples services et qui constitue une expérience à reproduire « pour penser et vivre autrement ».

D’autres ont raconté leur marche de mobilisation contre les projets pétroliers à Belledune et l’exploration pétrolière à Anticosti et à Gaspé. Ils ont aussi rappelé leur arrêt à Ristigouche pour appuyer la municipalité dans sa lutte pour la protection de l’eau contre la pétrolière Gastem et leur passage à Port-Daniel concernant le projet de cimenterie. Au chapitre de la résistance, des échanges ont entre autres porté sur l’affirmation de son identité sexuelle, sur les premières prises de conscience politique lors de la mobilisation étudiante en 2012, sur l’importance de déconstruire le capitalisme, sur l’occupation d’un terrain privé pour revendiquer des logements sociaux.

Finalement, Charles Coocoo du collectif MAMO (« ensemble » en langue atikamekw) a rappelé, dans le langage et l’esprit des peuples autochtones, que notre existence dépend de la nature et que le combat des femmes et des hommes est celui de la conservation de la vie menacée par la déshumanisation de la société.

Si La Cueillette des savoirs visait la population de la MRC des Basques, la participation aux ateliers a essentiellement attiré les résidents de l’auberge et des gens de passage venus pour l’occasion. Malgré son importance et sa richesse, cette initiative n’a pas dépassé les frontières d’une marginalité qui s’inscrit dans un mouvement de résistance pour la défense d’autres manières de vivre ensemble en pensant, en agissant et en vivant autrement. Par ailleurs, la conscience des enjeux contemporains exprimée dans les ateliers et des dangers qui menacent la condition humaine (dont l’individualisme et la destruction de la nature) semble se jouer en faveur d’une utopie où la multiplication des échanges de savoirs et d’expériences permettrait la création d’un autre monde. Le ressort des institutions et la possibilité de leur refondation ne semblent plus un horizon d’avenir. Comme s’il fallait tout reconstruire selon ce qui nous ressemble. Il y a, il me semble, le risque de sombrer dans l’indépassable en refusant d’affronter le politique. 

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