Ma blonde qui pense à tout, et qui est d’autre part d’un naturel charmant, m’arrive en fin de semaine avec un beau cadeau qu’elle a déniché chez le quincaillier du coin. « Chéri, puisque tu vas avoir de l’aide lundi pour la poursuite des travaux, vous pourriez peut-être installer la sortie de sécheuse dont on a parlé l’hiver dernier… » Ouais! C’est sûr que c’est une bonne idée. Depuis toujours, l’air chaud de la « chesseuse » est évacué directement dans la maison, ce qui, on en conviendra, n’est pas la solution la plus rusée. Le problème, c’est que la « chesseuse » en question est à l’étage. Mais vu que les échafauds sont déjà montés… Logique imperturbable de la gent féminine.
Je loue donc un emporte-pièce et une rallonge appropriée. Le mur à percer a en effet une épaisseur de 16 pouces, ce qui, pour une cloison, est relativement épais, un qualificatif, puisqu’il est question de mur, qui pourrait aussi très bien s’appliquer à un certain Donald Trump. Tout comme ce dernier par ailleurs, l’opération représente un danger potentiel. C’est ainsi que dès l’entrée en matière, peu habitué à l’utilisation de ma perceuse, mon acolyte voit l’engin se mettre à lui tournoyer traîtreusement dans les mains, et le poignet de sa main gauche en subit durement le contrecoup. N’hésitant jamais devant l’adversité, votre fidèle et vaillant serviteur prend courageusement le relais. Seize pouces à traverser, près de douze matériaux différents à franchir : encore un épique voyage dans le temps. Ça débute avec la planche à clin qu’on a posée il y a une vingtaine d’années pour remplacer le bardeau d’amiante, suit une première « forense » (ou fourrure de bois, pour parler comme les puristes, un lien avec le castor?), on tombe ensuite sur une gaine d’un pouce d’isolant rigide, et là, ça commence à être vraiment intéressant : bardeaux de cèdre, planche du revêtement extérieur initial, pièce de quatre pouces, planche intérieure originale, polystyrène, re-forense, finition intérieure (planche de pin posée dans les années 1970). Une traversée historique, l’ancien temps pris en sandwich entre deux tranches de pain contemporaines, trois heures de découvertes arrosées en permanence par une cascade de bran de scie ancestral qui n’en finit plus de nous faire bénéficier de son déversement homérique.
J’ai toujours aimé ces incursions dans le temps. Prenez par exemple, quand j’étais petit et que, partant de Québec, nous descendions dans le Bas-du-Fleuve, empruntant cette unique voie, reliquat du chemin du roi, poétiquement baptisée à l’époque la « route 2 ». Si nous avions le malheur de la parcourir à l’heure dite « des vaches », notre périple risquait d’être passablement plus long. En effet, tous les quatre ou cinq milles, le trafic était stoppé par un brave cultivateur en salopette agitant un drapeau rouge au moment où ses vaches passaient des champs à l’étable pour la traite du soir. Au cœur de la longue enfilade de camions, automobiles, superbes roulottes streamline, véhicules militaires, tracteurs et autres hippomobiles, on attendait avec flegme, prenant notre mal en patience, reconnaissant du noble travail du paysan dont le labeur nous permettait de mettre du beurre sur nos toasts, à une période où le protectionniste Duplessis interdisait la vente de la margarine sur le territoire de la province.
Voyez comme les choses ont peu changé, finalement. Si vous avez transité par Trois-Pistoles, cet été, sur la route nationale, vous avez probablement dû à votre tour attendre patiemment que l’une des charmantes brigadières qui contrôlent la circulation vous fasse signe de passer. Il s’agit d’une traverse de piétons, bien sûr, mais là encore aménagée en fonction d’un produit laitier. Et le progrès étant ce qu’il est, c’est en permanence que l’arrêt est maintenant obligatoire, et non plus seulement aux aurores ou à la tombée du jour. Le Kwick-Kwick impose sa loi, et l’entreprise privée décide aujourd’hui nonchalamment, avec le concours des autorités, de ce qui est bon ou non pour le bien commun. Spécial…
Ma blonde est revenue de l’ouvrage, enchantée des travaux. J’ai eu droit à un gros câlin, une immense poutine râpée style Nouveau-Brunswick, et bien d’autres choses que « rigoureusement ma mère m’a défendu de nommer ici »…