
Les mouvements sociaux façonnent l’identité collective en se distinguant des standards proposés par les forces sociales dominantes. Si le mouvement social existe, c’est entre autres pour proposer des solutions qui correspondent mieux aux besoins revendiqués par les acteurs sociaux. Selon le sociologue Érik Neveu (1996), un minimum de « croyances » en une cause est nécessaire chez les individus pour qu’ils s’impliquent dans un mouvement social. Il continue en affirmant que les mouvements sociaux « émergent de croyances qui soulèvent des questions et qui mènent à la réflexion à la base de l’action collective, à la défense d’un intérêt matériel ou d’une cause; un “agir-ensemble intentionnel” ».1
Le mot « féminisme » a fait l’objet de plusieurs débats ces derniers mois, certaines refusant de s’y identifier, d’autres tentant de récupérer le thème pour en tirer un bénéfice sur le plan politique. Toutefois, selon Marcelle Dubé (2003), les revendications du mouvement des femmes répondent à un principe universel, c’est-à-dire qu’elles soulèvent des questions et mettent en lumière des enjeux sociaux qui concernent l’ensemble de la population : santé, économie, éducation et environnement, et proposent des transformations profondes de la société, sans discrimination à l’égard du genre, du pays d’origine, de la classe ou de l’orientation sexuelle. En d’autres mots, les progrès lancés par les revendications du mouvement des femmes seront applicables à tous les citoyens et citoyennes, qu’ils aient ou non participé aux efforts.
En effet, quand le mouvement des femmes va au front pour la question de la pauvreté, il se soucie aussi de vos conditions de vie. Quand les femmes forment un mur contre un oléoduc, elles le font pour le bien commun, votre environnement et le mien aussi! Les idées qui émergent des mouvements sociaux sont directement liées aux besoins fondamentaux d’une population.
Prenons aussi l’exemple de la marche mondiale des femmes, « Du pain et des roses », qui a eu lieu en 1995 et qui est à l’origine de plusieurs revendications touchant, à la base, des problématiques visant surtout les femmes, mais qui, finalement, pouvaient concerner l’ensemble de la population. Le mouvement des femmes brise les barrières et dépasse les frontières des pays industrialisés puisque, partout à travers le monde, les femmes doivent faire face aux mêmes principaux enjeux : « la violence et la pauvreté ».2
L’idéologie néolibérale nous demande de nous adapter à l’environnement. Toutefois, les individus et l’espace sont interdépendants et ils évoluent au fur et à mesure des modifications des rapports sociaux. Plutôt que de s’adapter à l’idéologie dominante, les individus résistent, se responsabilisent et prennent conscience de leurs capacités à transformer les structures sociales.
« […] nous sommes dans une réalité sociale particulière, et à vrai dire unique dans l’histoire, où il ne nous est plus demandé de prendre place dans un ordre pratique et symbolique déjà établi, d’être fidèles à des valeurs substantiellement définies, ni même de tendre vers la réalisation d’un idéal, mais seulement de participer au mouvement général et de nous adapter au changement qui vient sur nous de lui-même, mécaniquement, comme une fatalité tout impersonnelle, indépendamment de toute finalité qui pourrait être assignée à notre existence individuelle et collective ».3
Le Centre des Femmes du Ô Pays (CFÔP), qui a pignon sur rue à Lac-des-Aigles, fait partie de ces organisations issues du mouvement féministe. Le CFÔP a de particulier qu’il est situé au coeur d’un territoire où se déroulèrent, jadis, les Opérations dignité. À force de luttes pour sauvegarder les services de proximité, les habitants ont développé un sentiment d’appartenance accru à leur territoire qui couvre trois MRC : Rimouski-Neigette, Les Basques, Témiscouata. De plus, à la même époque, les événements marquant l’Année internationale de la Femme, décrétée par l’ONU, ont grandement influencé la mobilisation des femmes pour la création du CFÔP en 1980.
Une grande partie de la mission du CFÔP est basée sur la conscientisation des femmes de façon à ce qu’elles acquièrent une autonomie sur les plans financier, affectif et social. C’est en donnant l’occasion aux femmes de se constituer en acteur collectif en fréquentant un lieu commun, comme celui du CFÔP, pour briser l’isolement et développer leur confiance en elles, qu’elles développeront le goût de s’impliquer dans leur milieu et de façonner l’espace à leur image.
Le Centre de mise en valeur des Opérations dignité d’Esprit-Saint est encore aujourd’hui le gardien de la mémoire et le témoin de cette histoire militante.
1. Érik Neveu, « Qu’est-ce qu’un mouvement social? », Sociologie des mouvements sociaux, La Découverte, 1996, p. 6-28.
2. Marcelle Dubé, « Quelques fenêtres ouvertes sur le mouvement des femmes québécois », Possibles, vol. 27, no 3, p. 132.
3. Michel Freitag, Le naufrage de l’Université et autres essais d’épistémologie politique, La Découverte/Mauss, 304 p.