
L’art c’est ce qui rend la vie
plus intéressante que l’art.
Voir à l’Est aura 20 ans en 2017. Créé par le Conseil de la culture du Bas-Saint-Laurent, le regroupement d’artistes fait face au défi de recruter une relève active dans ses rangs. Petit retour sur l’histoire de cette association, et sur ce qu’elle représente pour ses membres et pour leur pratique.
Il y a quelques semaines, le regroupement d’artistes présentait une magnifique exposition collective au Musée régional de Rivière-du-Loup. Quatorze artistes du Bas-Saint-Laurent ont exploré un thème inspiré d’une citation de Robert Filliou : « L’art c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art. » Sculptures, peintures, installations, les artistes ont tous pris le temps de présenter leur création, et la foule nombreuse écoutait très attentivement ce qu’ils avaient à dire. L’esprit collectif de Voir à l’Est à son meilleur!
Le peintre Michel Lagacé est l’un des idéateurs de l’association. « L’idée était de dynamiser le milieu en art contemporain dans la région. Après Au bout de la 20 [le précédent regroupement sous forme de corporation], on ne voulait pas s’engager dans quelque chose de lourd, avec demandes de subventions, loyer, etc. L’idée d’un regroupement d’artistes qui fonctionne par projets est venue naturellement. Il y avait un esprit assez collégial dans tout ça! Souvent, l’un des membres devenait le commissaire d’un projet initié par le groupe. Ça a créé beaucoup de collaborations entre les artistes qui s’impliquaient à toutes les étapes des événements. L’esprit communautaire et participatif des membres, c’est très intéressant, mais il y a eu, au fil des ans, beaucoup de mouvements au sein des membres. »
C’est le Conseil de la culture du Bas-Saint-Laurent qui a mis en place et pris sous son aile l’organisme Voir à l’Est pendant ses premières années, fournissant papeterie, lieu de rencontres, aide à l’organisation.
Michel Lagacé ajoute : « Avec d’autres artistes et grâce à la complicité de Rita Giguère, alors directrice du Conseil de la culture du Bas-Saint-Laurent, on a organisé un CA, on a mis sur pied l’association, qui rassemblait des artistes de la relève, des artistes établis et plusieurs professeurs de cégep, qui y ont trouvé une façon de poursuivre une pratique en art actuel en toute collégialité. Rien d’autre ne rassemblait les artistes en art dans la région et le bassin n’était pas très grand. Monter un solo pour un artiste est beaucoup plus lourd que participer à une exposition de groupe. La formule d’exposition collective a donc bien fonctionné. Quelques années plus tard, on nous a reproché de présenter les mêmes artistes. Ces dernières années, on a donc cherché des subventions pour engager des commissaires de l’extérieur, qui ont aussi pu inviter quelques artistes pour l’occasion. »
Michel Asselin, président de l’organisme, est aussi impliqué depuis le début : « Cet esprit de groupe est présent depuis le début. J’étais dans Au bout de la 20, c’est devenu un peu trop gros, le regroupement s’est essoufflé et Voir à l’Est est arrivé dans un format moins contraignant : pas de bureau, pas de personnel et basé sur le bénévolat des membres. On est allés du côté de la production d’événements ponctuels, à l’occasion, sans dépendre des subventions. »
Michel Lagacé complète : « Moi, j’exposais à Montréal et, à part le Conseil de la culture, ici, les artistes n’avaient pas de lien entre eux. Voir à l’Est est devenu un lieu pour se voir et pour créer des événements. »
Suzanne Valotaire était du premier événement de Voir à l’Est, au Musée régional de Rimouski, en 1998, sous le commissariat de Carl Johnson, alors conservateur. C’est elle qui a choisi le thème de l’expo qu’on a vue cet hiver au Musée du Bas-Saint-Laurent. Pour l’artiste qui venait tout juste d’arriver dans la région, Voir à l’Est s’est avéré un beau terrain de jeu : « Je suis déménagée à Rimouski à l’été 1998 pour enseigner au cégep et, à l’automne, j’ai participé au premier événement de Voir à l’Est, avec une performance intitulée Escaliez-vous (6) ou rester?. Je crois beaucoup à cet organisme et ça me peine un peu de voir que plusieurs artistes professionnels s’en sont éloignés. »
Les événements collectifs sont la signature de l’association, mais aussi les expositions thématiques, souvent en plein air, ce qui a amené beaucoup d’artistes à sortir de leur pratique habituelle pour s’adapter à des contraintes, hors des murs des galeries et des musées.
Michel Lagacé : « Oui, c’était assez étonnant, parce que ce n’était pas des artistes qui faisaient de l’installation. Moi je fais de la peinture, mais j’ai commencé à faire des installations. Ça nous a aussi rapprochés de la population. On est allés dans des endroits qui accueillaient naturellement beaucoup de monde. J’ai trouvé très intéressant de me greffer à des thèmes. Travailler avec des contraintes m’a fait sortir de ma pratique habituelle. »
Suzanne Valotaire : « Y’avait pas d’argent! Pour moi, cet organisme a été une façon de rester, d’être dans une gang locale, de connaître les artistes de la région. L’aspect communautaire m’a impressionnée. Dans les événements comme Nature trouée I et II, il n’y avait pas de commissaire, mais Michel Lagacé coordonnait tout ça. Il avait une énergie infatigable! Je ne suis pas certaine que, sans lui, Voir à l’Est aurait survécu. »
Michel Asselin : « Au début, ça m’a stimulé d’arriver avec des propositions qui sont comme des défis chaque fois, de sortir des sentiers battus pour ne pas toujours être dans les galeries et les musées. On fonctionne toujours avec les suggestions des membres. »
Suzanne Valotaire : « J’ai fait des choses qui m’ont amenée hors de ma pratique, avec Nature trouée entre autres, des tableaux vivants absurdes qui m’éloignaient de l’autobiographie. Ça me sortait aussi de l’enseignement, ça m’a gardée active comme créatrice, c’était une motivation. Les projets étaient ponctuels, réalisés dans un temps assez court. Ces projets me nourrissaient beaucoup. »
Après des événements un peu partout au Bas-Saint-Laurent, à Matane, Rimouski, L’Isle-Verte, les activités se sont resserrées autour de Rivière-du-Loup ces dernières années, le Musée du Bas-Saint-Laurent et la municipalité ayant facilité la diffusion des événements de Voir à l’Est. Les deux éditions des Flâneurs au centre-ville, les expositions dans les parcs, entre autres au parc de la Pointe, font partie de cette démocratisation de l’art, qui va ici tout naturellement vers les gens. Les œuvres de Publiqu’Art, un musée à ciel ouvert, témoignent d’ailleurs au quotidien de cette présence de l’art public à Rivière-du-Loup.
Michel Asselin : « La Ville, le Cégep et le Musée sont devenus des partenaires au fil des ans. Les murales, c’est un programme de la Ville et plusieurs membres ont pu y participer. Mais on reste ouverts à sortir! On a des membres de La Pocatière, de Saint-Clément, de Rimouski. On a longtemps fait ça entre nous, mais depuis quelques années on a essayé de mieux structurer le tout. On a fait appel à des commissaires, on a eu des subventions, mais il reste que l’on se concentre toujours sur deux volets : les événements pas compliqués à monter quand on fait appel à tous et les projets plus professionnels pour lesquels on a recours à des commissaires avec appels de dossiers. »
Comme beaucoup d’organismes, le principal défi pour le moment est d’intéresser une relève dynamique. Les trois artistes sont unanimes sur ce point quand on leur demande ce qu’ils souhaitent pour l’avenir de Voir à l’Est :
Suzanne Valotaire : « C’est difficile de répondre à ça! Moi je vais continuer de créer, à mon rythme… Nous sommes plusieurs à avoir dépassé la cinquantaine. Il va falloir travailler à la relève. Il va falloir que ça réponde à un besoin, qu’il y ait des liens qui se tissent avec d’autres organismes peut-être. La région est grande et le milieu a bien changé depuis 20 ans. »
Michel Lagacé : « Le milieu change. Il y a des gens qui sont membres une année ou deux, puis qui partent, d’autres qui quittent la région. À peu près tous les artistes du Bas-Saint-Laurent, de La Pocatière à Matane, ont fait partie de l’association et ont participé à l’un ou l’autre de ses événements. Il y a des défis oui, parce qu’il y a un peu de confort maintenant dans le groupe, c’est souvent les mêmes qui organisent et gèrent les projets. Il faut continuer à créer des événements et trouver des subventions. On a toujours travaillé à très court terme, mais ce serait intéressant de travailler sur un projet qu’on proposerait à un lieu. Il faudrait aller à l’extérieur, à Rimouski par exemple, parce qu’on n’y est pas allés depuis longtemps. Et la relève! La relève ne revient pas en région. C’est un grand défi, on n’a pas de jeunes dans la trentaine qui font de l’art contemporain. »
Michel Asselin : « Il faut développer la relève et les partenariats, et susciter des projets de la part de nos membres, pour qu’un plus grand nombre soit motivé à s’impliquer. »
À suivre donc, en 2017!