
Ce texte a été co-écrit avec Cynthia Deschênes, Stéphanie Préfontaine
Depuis 2006, une maladie dévastatrice affecte un grand nombre d’espèces de chauve-souris nord-américaines et provoque en moyenne la mort des trois quarts des membres des colonies durant l’hiver. Il n’est pas rare d’observer des taux de mortalité avoisinant les 99 % dans certaines populations touchées1. La maladie, le syndrome du museau blanc, est causée par un champignon pathogène originaire d’Europe (Pseudogymnoascus destructans). Malgré son arrivée relativement récente dans notre province (2010), il a déjà entraîné sur la voie de l’extinction trois des huit espèces de chauves-souris québécoises. En effet, la petite chauve-souris brune, la chauve-souris nordique et la pipistrelle de l’Est sont officiellement considérées en voie de disparition depuis 2012. Deux autres espèces de chauves-souris québécoises sont également touchées par cette maladie : la grande chauve-souris brune et la chauve-souris pygmée, cette dernière est d’ailleurs très rare dans l’Est du Canada.
Mais pourquoi se soucier du sort des chauves-souris? Étonnamment, les chauves-souris peuvent avoir une influence non négligeable sur les activités humaines par le biais des importants services écologiques qu’elles rendent. En saison estivale, les chauves-souris peuvent consommer quotidiennement 25 % de leur poids en insectes2. Lorsque les femelles allaitent, ce pourcentage peut dépasser les 100 %. Par exemple, la femelle petite chauve-souris brune pèse en moyenne 7,9 g et peut consommer 9,9 g d’insectes chaque nuit lors de cette période3. Pour une colonie de grandes chauves-souris brunes composée de seulement 150 individus, cela représente 1,3 million d’insectes consommés par année, dont un minimum de 600 000 seraient des insectes ravageurs de cultures4. Concrètement, la prédation d’une telle quantité d’insectes empêche la ponte de 33 millions d’œufs à l’origine de dommages aux cultures4. De plus, la simple présence des chauves-souris permet de réduire jusqu’à 50 % l’abondance de la pyrale du maïs, qui cause de grands dommages5. Dans le monde, on estime qu’un total de 25 à 50 % de toutes les récoltes est détruit par l’action d’insectes ravageurs6. Une disparition totale des chauves-souris pourrait représenter une augmentation de 84 % d’insectes dans les cultures, et ce, même en conservant d’autres animaux insectivores tels que les oiseaux7. Comme environ 1 million de petites chauves-souris brunes sont mortes depuis le début de l’épidémie fongique aux États-Unis, de 660 à 1 320 tonnes d’insectes par années ne sont plus consommées par les chauves-souris8.
En tout, que ce soit en dommages évités et en pesticides non utilisés, le service écologique rendu par les chauves-souris représente une économie de 22,9 milliards de dollars par année aux États-Unis, selon le chercheur Justin Boyles et ses collaborateurs. Il s’agit là d’un service qui touche non seulement l’économie, mais également la santé publique puisque les pesticides sont extrêmement nocifs, probablement à l’origine de nombreux problèmes de santé.
Heureusement, il est possible de poser des actions concrètes pour améliorer le sort de nos chauves-souris. Tout d’abord, il est important de rapporter aux autorités concernées tout comportement anormal, comme l’observation d’un individu pendant la journée, particulièrement en période hivernale, ou encore un individu cloué au sol ou incapable de voler. Il est également possible de construire un abri en bois pouvant servir de halte de repos ou de lieu de maternité pendant la saison estivale. Des plans se trouvent sur le site whitenosesyndrome.org. En ce qui concerne les cultures, l’usage de pesticides biologiques présentant moins de danger pour les mammifères pourrait améliorer la santé des chauves-souris. De plus, il est facile de rendre son terrain attrayant pour les chauves-souris qui ont besoin de boisés assez vastes et hétérogènes comportant de vieux chicots pour s’abriter, se reposer et parfois même chasser. Elles ont aussi besoin de milieux humides pour s’hydrater. Il est donc conseillé de conserver ces habitats en coupant le moins d’arbres possible autour de sa propriété par exemple. Actuellement, c’est le moins que l’on puisse faire pour permettre aux populations de chauves-souris de jouer leur rôle de régulateurs des insectes ravageurs des cultures, mais il ne faut pas se le cacher, l’avenir apparaît précaire pour nos chauves-souris.
Pour signaler une colonie de chauves-souris ou un comportement inhabituel, contactez le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) ou consultez le site Internet Chauves-souris aux abris (chauve-souris.ca).
1. Alves, Terribile et Brito, « The Potential Impact of White-Nose Syndrome on the Conservation Status of North American Bats », PLOS one, e107395, sept. 2014.
2. Kunz, Braun de Torrez, Bauer, Lobova et Fleming, « Ecosystem services provided by bats », Annals of the New York Academy of Sciences, vol. 1223, no 1, 2011.
3. Kurta, Bell, Nagy et Kunz, « Energetics of pregnancy and lactation in freeranging little brown bats (Myotis lucifugus) », Physiological Zoology, vol. 62, no 3, 1989.
4. Whitaker Jr, « Food of the big brown bat Eptesicus fuscus from maternity colonies in Indiana and Illinois », American Midland Naturalist, 1995.
5. Belton et Kempster, « A field test on the use of sound to repel the European corn borer », Entomologia experimentalis et applicata, vol. 5, no 4, 1962.
6. Pimentel, McLaughlin, Zepp, Lakitan, Kraus, Kleinman, Vancini, Roach, Graap, Keeton et Selig, « Environmental and economic effects of reducing pesticide use in agriculture », Agriculture, Ecosystems & Environment, vol. 46, no 1, 1993.
7. Williams-Guillén, Perfecto et Vandermeer, « Bats limit insects in a neotropical agroforestry system », Science, vol. 320, no 5872, 2008.
8. Boyles et Willis, « Could localized warm areas inside cold caves reduce mortality of hibernating bats affected by white-nose syndrome? », Frontiers in Ecology and the Environment, vol. 8, no 2, 2009.