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Exploiter la peur et vendre des médicaments

Par Jean-Claude St-Onge le 2016/05
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Exploiter la peur et vendre des médicaments

Par Jean-Claude St-Onge le 2016/05

Nous sommes en meilleure santé et nous vivons plus longtemps que jamais, mais depuis quelques décennies, nous n’avons jamais eu aussi peur de la maladie et de la mort. Il y a plus d’une explication à ce paradoxe. La docteure Iona Heath, qui a dirigé le Collège royal des omnipraticiens de Grande-Bretagne, souligne que la mort prend un aspect plus angoissant depuis le repli des croyances religieuses. Néanmoins, elle remarque que le principal carburant de ces angoisses tient au rôle du complexe médico-industriel avec à sa tête l’industrie pharmaceutique.

Il y a beaucoup d’argent à faire en exploitant la peur de la maladie. La richissime industrie pharmaceutique, trois fois et demie plus rentable que les autres secteurs, selon Kaiser Permanente, dépense deux fois plus en promotion et marketing qu’en recherche.

Fort peu d’obstacles résistent à l’industrie dans sa marche pour augmenter ses marges de profit. En 1976, le PDG de Merck, confiait au magazine Fortune que son rêve était de vendre « aux malades comme aux bien-portants ». Par ailleurs, l’industrie est passée maître dans l’art de convaincre les bien-portants qu’ils seraient minés par une maladie silencieuse et sournoise qui pourrait les expédier dans l’au-delà avant terme.

De nouvelles maladies ?

L’anxiété paralysante est une affection sérieuse. Mais le malaise ressenti avant de parler en public ou la gêne éprouvée quand on mange seul au restaurant ont été transformés en maladie : le « trouble de l’anxiété sociale ». Le fabricant de l’antidépresseur approuvé pour traiter ce problème a embauché une société de relations publiques pour vendre cette nouvelle « maladie » avec des slogans comme « Vous n’êtes pas timide, vous êtes malade ». Selon le fabricant, 90 millions de personnes souffriraient de ce trouble en Amérique du Nord et en Europe. Laisser croire qu’un problème non diagnostiqué est largement répandu et soutenir que la solution est médicamenteuse favorise la vente de médicaments.

En vieillissant, il est normal d’oublier des choses. Ce phénomène est devenu le « trouble neurocognitif léger », un nouveau trouble et une sorte d’antichambre de la maladie d’Alzheimer. Pourtant, le DSM, la « bible » des psychiatres, dit explicitement que ces oublis sont modestes et n’ont aucune incidence sur le fonctionnement.

La ménopause serait quant à elle une « maladie » caractérisée par un manque d’hormones, et un déficit en testostérone menacerait sérieusement les hommes qui prennent de l’âge. L’industrie soutient que l’hormonothérapie de substitution devrait protéger le cœur et procurer la jeunesse éternelle. Or, l’étude indépendante « Women’s Health Initiative » a découvert que l’hormonothérapie augmentait les dangers pour le cœur et le risque de cancer du sein. L’année suivant la publication de l’étude, plusieurs femmes ont arrêté leur traitement et on a enregistré une diminution de 7 % des cancers du sein aux États-Unis. Quant aux effets positifs de l’administration de testostérone, ils sont marginaux, voire nuls, et s’accompagnent d’une augmentation substantielle du risque cardiaque.

Abaissement des seuils

Un diagnostic de trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) exigeait normalement la présence de huit critères sur neuf. Depuis 1994, six critères suffisent, ce qui a entraîné une augmentation du nombre de cas de 200 %. De la même manière, on a abaissé les seuils de la tension artérielle et du taux de sucre qui méritent une médication. D’après plusieurs experts, les nouvelles cibles ne sont pas fondées sur des preuves rigoureuses et ces facteurs de risques ont été transformés en maladies : la pré-hypertension et le pré-diabète.

De plus, si les statines, des réducteurs de cholestérol, semblent avoir un certain effet chez ceux qui ont déjà subi une crise cardiaque et un AVC, les preuves de leur efficacité chez ceux et celles qui sont à faible risque sont au mieux marginales, voire nulles et peuvent s’accompagner d’effets indésirables importants. Le docteur Juneau de l’Institut de cardiologie de Montréal estime que 80 % des statines sont prescrites inutilement, alors que d’autres stratégies ont fait leurs preuves : activité physique, diète, arrêt du tabagisme.

Transformer des symptômes bénins en maladies

Les brûlements d’estomac après un repas épicé et une soirée bien arrosée sont normaux et se soignent facilement avec des produits en vente libre. On traite maintenant ce qu’on appelle le « reflux gastro-œsophagien » avec des inhibiteurs de la pompe à protons, normalement indiqués pour les cas les plus graves.

La dépression situationnelle survenant après une peine d’amour, une catastrophe naturelle, une perte d’emploi, etc., évolue après un certain temps naturellement vers la guérison. Or, en 1980, on a regroupé la dépression mélancolique grave et la dépression situationnelle sous un même parapluie, la « dépression majeure », devenue pour plusieurs experts un trouble chronique nécessitant un traitement pharmacologique pour la vie.

Les médicaments font partie de notre arsenal pour améliorer la qualité de vie et prolonger l’existence. Les antibiotiques ont sauvé des millions de vies. Si la peur de la souffrance et de la mort y sont pour beaucoup dans l’augmentation exponentielle des dépenses en médicaments, l’increvable espérance d’une guérison miraculeuse, grâce aux pilules, y est également pour quelque chose. Il vaut la peine de répéter ces paroles d’Allen Roses, alors vice-président de GlaxoSmithKline : « Plus de 90 % des médicaments sont efficaces chez 30 % à 50 % des gens. » Soulignons qu’un bon logement, des conditions de travail et un salaire décents, un environnement exempt de substances toxiques, ce qu’on appelle les déterminants sociaux de la santé, font davantage que les gènes, les soins médicaux et les habitudes de vie pour expliquer la santé et l’espérance de vie.

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