
L’album détonne sur l’étalage. Par le titre, déjà : Alcoolique. On le remarque aussi par la qualité de la couverture, en carton brut, toilée, sérigraphiée et avec image embossée. Le tout signé par la maison d’édition Monsieur Toussaint Louverture, qui mise sur une œuvre américaine pour la première bande dessinée à son catalogue.
L’américanité, on la retrouve d’emblée dans l’ambiance new-yorkaise de l’album, qui rappelle les romans de Paul Auster. Alcoolique, présenté comme une autobiographie et signé par Jonathan Ames, dessiné par Dean Haspiel, a ce dynamisme et cette authenticité qui font la force du roman graphique américain. Car on trouve là, en effet, un véritable roman graphique, un genre somme toute assez rare, même si tout le monde s’arroge l’étiquette. L’album n’a rien d’un prêche. Il n’a pas même un message à livrer. Tout juste l’histoire d’un homme à raconter.
Alcoolique (The Alcoholic en version originale), c’est en fait l’histoire de Jonathan, un type brillant, qui connaît même un certain succès professionnel, mais qui, sitôt qu’il touche à un verre, se défonce. À la première gorgée, c’est parti pour la totale, et Jonathan sait déjà qu’il se réveillera quelques litres et quelques lignes plus tard dans un lieu improbable, un filet de vomi à la bouche. Avec un peu de chance, il y aura quelqu’un à côté de lui : une femme, peut-être deux, ou peut-être un homme. Souvent canons d’ailleurs, mais parfois grotesques. Les aléas du métier.
Au fil de l’album, on suit la vie de Jonathan, de l’adolescence à la calvitie. On le voit sombrer, de fois en fois, et tenter de survivre. Car Jonathan survit malgré tout, plutôt bien, même. Il réussit au moins à faire tenir sa vie en un morceau. On ne peut même pas dire qu’il soit vraiment malheureux. Le concept s’applique mal. Disons qu’il a ses moments de bonheur.
Le tout donne un ton unique à Alcoolique. Pas de pathos, pas même de larmes. L’humour noir aidant, on se retrouve en définitive dans une ambiance inconfortable, incertaine. Comme dans ce passage sur le 11 septembre où Jonathan observe les tours brûler et se défaire en cendres lentement, incapable de réagir. Un passage qui fait ressortir le temps suspendu de ces instants où le cerveau semble paniqué et demande sans cesse plus de temps pour comprendre.
On le voit, Alcoolique n’est pas un livre sur le vice de Jonathan. Malgré son omniprésence, l’alcool est secondaire dans le récit. Alcoolique est un livre sur les déceptions, le doute, l’angoisse. C’est un livre sur le coup de téléphone qu’on doit passer à un ami depuis trop longtemps déjà, sur les baises torrides, les attaques subites de diarrhée, cette fois où on a évité la mort par une chance incroyable. Bref sur un monde qu’on ne contrôle pas. Et la façon dont chacun y fait face. Ou pas. Ou pas toujours comme on le voudrait.
Jonathan Ames et Dean Haspiel, Alcoolique, traduit de l’anglais par Fanny Soubiran, Éditions Monsieur Toussaint Louverture, 2015, 144 p.