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Un combat inégal dans l’arène du développement durable

Par Bernard Vachon le 2016/01
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Un combat inégal dans l’arène du développement durable

Par Bernard Vachon le 2016/01

Au début de l’été 2015, on annonçait un vaste projet de parc éolien sur les terres publiques des MRC des Basques et de Rimouski-Neigette. Coût du projet : 500 millions. Présenté comme le plus important parc éolien « communautaire » au Québec, le projet éolien Nicolas-Riou repose sur un partenariat privé/public : Énergie de France-EDF, Énergie éolienne Bas-Saint-Laurent, Régie intermunicipale de l’Énergie Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine1.

Pas moins de 68 méga éoliennes, chacune d’une hauteur de 175 mètres (574 pieds), seraient implantées sur un territoire naturel d’exception entouré de quatre petites communautés rurales : Saint-Mathieu-de-Rioux, Saint-Médard, Sainte-Françoise et Saint-Eugène-de-Ladrière.

À la demande de citoyens, le BAPE a tenu une audience publique l’automne dernier, sous la présidence du commissaire Louis-Gilles Francœur. Le rapport du commissaire sera remis au ministre au plus tard le 27 janvier 2016 et la décision du Conseil des ministres est attendue pour le mois de mars.

Argumenter le développement durable

Le peu d’expertise des citoyens sur ces questions, les faibles moyens dont ils disposent, les difficultés à définir et à mesurer les torts et les nuisances d’un tel projet sur l’environnement naturel, le cadre de vie et la qualité de vie des communautés, ainsi que sur les usages en cours et potentiels des territoires affectés par les projets, et les courts délais qu’impose l’agenda du BAPE placent la partie citoyenne en position de faiblesse devant des promoteurs qui bénéficient d’une forte expertise et de ressources quasi illimitées pour promouvoir et défendre leurs projets.

Pendant l’audience, les inquiétudes des citoyens ont été exposées avec une remarquable rigueur et fortement marquées par des convictions environnementales et un attachement profond au milieu. Les arguments invoqués confrontaient les bénéfices présumés et attendus du parc éolien projeté aux torts et aux nuisances que celui-ci allait générer sur l’environnement, le cadre de vie et la qualité de vie quotidienne des communautés limitrophes, notamment celle de Saint-Mathieu.

Précisons qu’après un siècle d’économie agroforestière, qui a profondément décliné au cours des années 1960, 1970 et 1980, la municipalité de Saint-Mathieu s’est restructurée autour des vocations résidentielle et récréotouristique. La qualité du milieu naturel et des paysages constitue son principal facteur d’attraction et levier de développement.

Tous les intervenants qui se sont exprimés contre le projet éolien ont rappelé l’importance de promouvoir une stratégie énergétique orientée vers les énergies renouvelables afin de s’affranchir de la dépendance aux hydrocarbures, soulignant toutefois qu’un tel choix ne pouvait se faire sans égard à l’environnement naturel, aux écosystèmes humains et à la qualité de vie d’une communauté.

Offensive musclée de la part du promoteur privé-public

Plusieurs mémoires favorables au parc éolien ont été déposés en provenance notamment d’élus municipaux, de préfets de MRC et d’organismes de développement économique; d’autres en provenance de commerçants ou d’industriels liés à la filière éolienne2. La perspective de contrats et d’un regain d’affaires et d’emplois temporaires durant la phase de construction (18 à 20 mois) était un motif d’appui au projet.

Ce qui frappait le plus à travers ces exposés favorables au projet était l’absence totale de réserve ou de souci à l’égard de la protection du milieu naturel, des paysages et de la qualité de vie des populations qui auraient à subir la présence du parc éolien projeté. Aucune inquiétude non plus quant au mode de gestion retenu, qui confie l’entière responsabilité du projet au partenaire privé.

Les élus locaux entrevoient dans les redevances générées par ce nouveau parc éolien une source inespérée de revenu pour leur trésorerie municipale. Écrasés par le fardeau croissant de leurs responsabilités et prisonniers de leurs revenus qui stagnent, ils sont séduits par les sirènes des redevances que fait miroiter ce projet. L’État n’est pas totalement innocent dans la relation qui unit les municipalités à la filière éolienne.

Quatre options pour le BAPE

1. Recommander le projet dans la forme et les conditions de réalisation présentées par ses promoteurs. Ce qui signifierait que le BAPE s’incline devant « l’acceptabilité générale » plutôt que de prendre en compte la « non-acceptabilité locale » (partie importante de la population de Saint-Mathieu) d’une part, qu’il renonce à promouvoir et à défendre avec fermeté et ferveur les dimensions environnementale et sociale du développement durable dans le cadre de ce projet, cédant toute la place aux dimensions économique et financière d’autre part.

2. Recommander le projet mais l’assujettir à des modifications substantielles afin d’atténuer les impacts environnementaux et sociaux les plus marquants (impacts visuel et sonore, impact sur le milieu naturel, impact sur les paysages et la qualité de vie). Ce qui signifierait que le BAPE se perçoit comme un agent de changement pour faire progresser l’approche du développement durable, tout en évitant de bousculer trop sévèrement les niveaux de compréhension et d’appropriation de cette approche, tout autant que les choix politiques.

3. Recommander l’abandon du projet pour les torts et les nuisances causés aux communautés limitrophes, notamment la municipalité de Saint-Mathieu-de-Rioux. Ce qui traduirait la volonté ferme du BAPE de considérer les préoccupations environnementales et sociales à la base de la grille d’évaluation du développement durable comme paramètres déterminants dans le processus de validation de ce projet. Le message serait alors de concevoir et d’implanter les nouveaux parcs éoliens en des lieux et à des distances qui ne compromettent pas la qualité des cadres de vie, la qualité de vie des communautés avoisinantes et les espaces présentant un potentiel de développement (parcs, activités récréotouristiques, villégiature, etc.). Des corridors de vents et des lignes de transport de l’électricité, il en existe abondamment à l’extérieur des zones sensibles des communautés.

4. Recommander l’abandon du projet et un moratoire de trois à cinq ans sur le développement de la filière éolienne, ce qui serait l’occasion de réaliser une étude approfondie sur la pertinence de nouveaux parcs éoliens (alors que la capacité productive d’électricité d’Hydro-Québec génère des surplus), sur le rendement économique de la technologie éolienne, sur ses impacts environnementaux et sociaux, sur les conditions et les lieux d’implantation des éoliennes, etc.

Les attentes sont grandes envers le BAPE, car cette institution, plus qu’un organisme d’arbitrage, incarne un fer de lance du développement durable.

La sauvegarde de nos milieux de vie ne peut plus faire l’économie de l’audace et du courage pour contrer les ambitions des acteurs de la croissance et de l’exploitation tous azimuts des territoires et de leurs richesses. Si le BAPE n’a pas cette audace et ce courage, qui les aura?

1. 50 % Énergie de France-EDF; 33,33 % Énergie éolienne Bas-Saint-Laurent (huit MRC du BSL et la Première Nation Malécite de Viger); 16,67 % Régie intermunicipale de l’Énergie Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine (six MRC de la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine, participation).

2. Pour consulter les 75 mémoires remis au BAPE : www.bape.gouv.qc.ca.

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