Le commerce du sexe — documentaire d’auteur réalisé par Ève Lamont — revient sur le plus vieux sujet au monde : l’univers de l’industrie du sexe. Ici cependant, on déplace les projecteurs : pas de scènes de nudité, pas de témoignages sentimentaux des travailleuses du sexe, pas de dénonciations ni de descentes policières.
C’est dans une atmosphère froide, quasi sans musique et transitions visuelles entre les scènes qu’alternent les confidences. Du tenancier de bar de danseuses au producteur de films pornos, en passant par le client, le proxénète, la danseuse et la prostituée, la réalisatrice québécoise expose le commerce du sexe dans sa globalité. Le but? Dévoiler les rouages de cette industrie sans porter de jugement, dans la simple intention d’en rendre compte.
Alors que le premier documentaire d’Ève Lamont, L’imposture, laissait la place à la parole des femmes et au partage de leur vécu, Le commerce du sexe dirige le regard vers d’autres acteurs. Le long métrage est structuré comme se construit le passage d’une femme dans le monde du travail du sexe : le recrutement d’abord, les débuts « soft » dans les salons de massages ou comme escorte, ensuite l’emprise du proxénétisme et le cercle vicieux de l’argent et, finalement, la sortie.
« J’ai trouvé ça très difficile sur le plan humain », témoigne Ève Lamont. Pendant les quatre années qu’a duré le tournage du film, elle a côtoyé non seulement des filles aux histoires intolérables, mais aussi des clients, des recruteurs et des proxénètes dont la plupart se déculpabilisent de leurs actes. « Parce que l’homme paye, la femme consent », voilà ce que lui répondent ces hommes, chacun à leur façon.
Or rares sont les femmes heureuses de procurer des services sexuels six, huit, dix ou douze fois par jour : « 90 % des femmes veulent en sortir », soulève la réalisatrice. Ses statistiques, elle ne les fonde pas sur des recherches gouvernementales, mais plutôt sur ses observations des dix dernières années.
Elle a commencé à s’intéresser au sujet en 2006. Quatre ans plus tard, elle diffusait son premier projet, L’imposture. Elle s’est alors aperçue que ce n’était pas suffisant, qu’elle ne pouvait pas tout dire en un film. Elle a donc choisi de poursuivre ses recherches afin de lancer, en 2015, Le commerce du sexe. La réalisatrice a recueilli les témoignages d’une centaine de femmes et d’autant d’acteurs masculins afin d’avoir l’heure juste, autant que possible. Elle a également pris soin de ne pas centrer toute son attention sur Montréal, qui n’est pas représentative du Québec. « À Montréal, on se commande une fille comme une pizza », déclare l’agent de la paix qui a généreusement témoigné. Elle tourne aussi sa caméra vers l’Estrie, Québec, l’Abitibi, particulièrement Val-D’Or, dernière escale pour les routiers en transit vers le Grand Nord.
Selon Ève Lamont, la réduction des méfaits n’est pas la bonne méthode. « Il faut montrer les solutions », affirme-t-elle. Il faut favoriser l’éducation sexuelle dans les écoles secondaires, sensibiliser la population aux inégalités entre les genres, agrandir l’offre de logements sociaux mais, surtout, il faut arrêter la normalisation du commerce du sexe. On banalise la marchandisation de la femme alors qu’en fait, l’acte de prostitution provoque souvent de graves séquelles. « Lorsque les femmes travaillent, elles ont une switch on/off qui leur permet de se déconnecter le temps du service. Au bout d’un certain temps, la switch devient confuse. Le corps est comme anesthésié; 68 % des femmes sont en état de stress post-traumatique. On appelle ce phénomène la dissociation et la décorporalisation », explique la réalisatrice.
Le commerce du sexe est une industrie de l’ombre sur laquelle il est impossible d’avoir un regard exhaustif. Ève Lamont réussit cependant, avec ce deuxième documentaire sur le sujet, à mettre en lumière plusieurs rouages, et à rétrécir le mystère.