En début de campagne électorale, près de 70 % des électeurs rêvaient de défaire le gouvernement de Stephen Harper et réfléchissaient à la meilleure stratégie pour le faire. Et pour cause. Sous Harper, le reformatage du pays impliquait le mépris de la science, de la culture et de la démocratie, l’État était menacé d’asphyxie. Au Québec, en 2011, on avait cru que le NPD était la solution, quitte à voter pour des poteaux, mais c’était sans compter l’Ontario, qui a accordé à Harper sa première majorité. En 2015, il a fallu se rendre à l’évidence, le Québec seul n’avait pas le pouvoir de renverser Harper. Leçon d’humilité.
Pour expliquer la chute du NPD ici, on a glosé et glosé cette histoire de niqab. On a en beaucoup parlé parce que des journalistes se sont précipités sur l’appât que leur lançait Harper. À preuve, après une semaine à remâcher encore et encore cette juteuse histoire, cette journaliste qui demande à Thomas Mulcair, de passage alors dans le Grand Nord, comment il allait s’y prendre pour qu’on arrête de lui parler du niqab (!?!).
Si l’on en avait tant parlé, cela ne pouvait qu’être lourd de conséquences, dixit les mêmes journalistes. Il est fréquent, en effet, que les journalistes s’intéressent plus à l’effet de leur couverture sur la campagneélectorale qu’à la campagne elle-même.
Pendant ce temps, le paysage politique se dessinait en Ontario sans vague orange : la province virait au rouge. Le Québec a alors compris d’où soufflait le vent. Or, ici, on aime faire la vague : la vague Trudeau père (74 sur 75 comtés), la vague Mulroney (libre-échange et beau risque), la vague Bouchard (échec du lac Meech) et, maintenant, la vague angélique du fils contre Satan Harper.
Grand merci au stratège australien du PC, la longue campagne a servi Justin Trudeau qui s’est révélé excellent marathonien. Il sait tenir son rôle, sa mémoire est agile et, si certaines de ses phrases semblent parfois tout droit sorties de Google traduction (ah! le briefing en anglais), son approche empathique, sa jolie famille photogénique et ses généreuses promesses ont su séduire l’électorat.
Dans les milieux culturels, on attend la manne : réinvestissement à Radio-Canada, à l’Office national du film, à Téléfilm Canada, et le budget du Conseil des arts devrait doubler. Plus de décisions parlementaires tiendront compte de données scientifiques, les scientifiques peuvent espérer retrouver leur droit de parole et des budgets conséquents. On fera enquête sur les disparitions de femmes autochtones, le cabinet des ministres présentera une parité hommes/femmes. La classe moyenne sera prospère grâce, entre autres, à un généreux programme d’infrastructures qui relancera l’économie. On pourra fumer du pot, voter avec un sac à patates, aller à la banque avec une cagoule et travailler en garderie avec un niqab (pour la gendarmerie royale, je m’interroge, car c’est plus difficile de monter à cheval avec un niqab qu’avec un turban). Vivre et laisser vivre dans le meilleur des mondes possible. Oh yeah!
Pour Justin Trudeau, sur la voie ensoleillée de ce beau et grand et multiculturel Canada, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Le nouveau premier ministre devra cependant affronter larealpolitik; il verra que ce n’est pas si facile de tenir ses promesses, qu’autour de lui, il n’y a pas que des gentils (surtout quand il y a de lucratifs contrats en vue pour les infrastructures) et qu’après un an, on va déjà le presser de préparer sa réélection. Je ne crois pas qu’on le laissera procéder à une réforme électorale. De surcroît, Trudeau fils a beau avoir affirmé que le bureau du premier ministre accaparait trop de pouvoir – une initiative paternelle, je serais surprise (agréablement) si délestage il y a.
Il lui reste à apprendre à devenir un homme d’État et à gérer son caucus et l’establishment de son parti. Je ne doute pas de la sincérité de Justin le candide, mais est-ce que la sincérité sera suffisante? Qui sait, peut-être nous surprendra-t-il encore?
Le Québec a choisi la meilleure stratégie pour congédier Harper. Est-ce qu’il prendra goût au Canada pour autant? Est-ce qu’il a d’autres choix? Pourquoi le pays d’André Arthur connaît-il une telle expansion? Pourquoi le Parti vert a-t-il moins de votes dans tout le Canada qu’un Bloc souffreteux au Québec? L’avenir nous le dira. Moi, « je dis chaudron et je dis peut-être 1. »
1. Michel Rivard, candidat Rhinocéros en 1980