
Le Salon du livre de Rimouski remet maintenant le prix Arthur-Buies tous les cinq ans. Le prix souligne la carrière d’un auteur né ou habitant l’Est-du-Québec. C’est l’auteure Micheline Morisset qui en est la récipiendaire cette année. Qu’elle remporte le prix Arthur-Buies, l’année du 50e anniversaire du Salon, est amplement mérité.
Ses cinq publications en fiction montrent une écriture qui évolue au fil des ans, qui peaufine des thèmes récurrents, le manque, le désir et la séduction, ici un désir de plaire plus qu’un artifice. Au milieu des œuvres de fiction, Arthur Buies, chevalier errant, une série radiophonique et un livre consacrés à l’écrivain, journaliste et chroniqueur dont le prix remis par le Salon du livre porte le nom.
Micheline Morisset : J’ai deux raisons d’être émue et touchée par ce prix. Tout d’abord, ça fait du bien d’avoir cette reconnaissance. Je vis plutôt recluse, j’écris dans le silence, je sors très peu et tout d’un coup, on reconnaît que… du temps a passé, que du travail a été fait. Et tout d’un coup, il y a des gens qui me disent, oui, ton travail mérite d’être souligné. Et je suis contente de faire partie de cette famille de romanciers, poètes et essayistes qui ont remporté ce prix. Ça donne de l’énergie pour continuer et ça confirme que j’ai fait les bons choix il y a 26 ans. Parce qu’il y a une petite fille derrière, qui écrivait en cachette et qui avait enterré ce rêve-là.
Et puis il y a Arthur Buies. Je l’avoue, j’ai eu un béguin pour lui! J’avais soumis un projet de série radio à la Chaîne culturelle de Radio-Canada pour les 300 ans de Rimouski. Pour moi, à l’époque, Arthur Buies n’était pas très significatif : c’était un boulevard, une plaza, un prix littéraire. J’ai commencé par curiosité, par envie de connaître cet homme-là. Je ne suis pas historienne et j’ai même eu peur de m’ennuyer avec ces vieux textes. Mais quelle surprise de découvrir sa verve, sa couleur, son intensité, sa passion, son désir de changer les choses! Il jugeait que c’en était assez d’être né pour un petit pain, assez du pouvoir clérical. Il était fâché, voulait rendre l’éducation plus accessible, qu’on se prenne en mains. Il a nommé sa colère. Et je l’ai aimé. Je trouve en plus que son écriture était magnifique. J’ai littéralement englouti tout ce qu’il avait écrit, jour et nuit, et sa musique est entrée en moi. Dans ce livre, on retrouve d’ailleurs ses traces dans mon écriture.
Une voix qui se lit, une voix qui s’entend
Lire la prose de Micheline Morisset, c’est entendre sa voix. Une voix posée, qui prend le temps de chercher le mot exact, la bonne intonation. Une voix qui nous donne à entendre la différence entre la virgule et le point dans ses silences. Quand je lis la prose de Micheline Morisset, j’entends toujours sa voix. Je me suis souvent demandé si c’est parce que je la connais, ou si c’est parce que la voix qu’on lit est aussi celle avec laquelle elle parle. Elle confesse écrire… à voix haute :
M. M. : J’écris toujours à haute voix. J’écris deux phrases et elles sont dites. Il arrive que mon conjoint entre à la maison en revenant du travail et que je n’aie plus de voix. J’écris six ou sept heures par jour et, je vais le dire comme ça, je « gosse » tout haut mes textes! Donc c’est certain que ce son-là, cette musique-là, c’est la mienne. Parce que je suis soucieuse des rimes internes, du point, de la virgule, et je suis convaincue que je n’aurais pas continué à écrire si je n’avais pas eu ce grand plaisir avec la langue française. C’est ma voix, mon rythme et c’est vrai que je suis peut-être pas si loin de la fille qui faisait de la radio et je suis certainement influencée par la musique que j’écoutais. Je suis restée très lyrique.
… du manque et du désir
S’il y a un thème qui traverse tous les livres de Micheline Morisset, c’est le désir, et le manque évidemment, son corollaire. Elle ne donne pas dans l’autofiction, mais avec sa mémoire, ses lectures, ses projections d’elle-même. Elle s’étonne en entrevue de voir la chose nommée aussi clairement. Elle réfléchit à voix haute comme lorsqu’elle écrit :
M. M. : C’est tellement vrai! En ce sens-là, mes livres c’est moi. Parce que je porte ça en moi… C’est tellement moi : le manque et le désir, le désir et le manque. Tout mon corps crie ça, tout mon cœur crie ça, mes colères crient ça! C’est la première fois que c’est nommé aussi clairement! Ce duo crée une tension dans ce que j’écris. C’est pas tant dans les faits qui sont écrits qu’on parle d’autofiction, mais dans la démonstration, dans la voix d’une femme qui énonce tout haut et les désirs et les manques. En ce sens-là, c’est de l’autofiction. Mais je le dis tout haut pour la première fois!
Pour écrire, l’auteure a besoin d’ordre et de savoir où elle va. Ses recueils de nouvelles ne sont pas formés de textes épars. Elle a un plan, elle sait quelle direction elle veut donner à son ouvrage.
M. M. : Écrire de la nouvelle me rapproche de la poésie. Je suis plus sensible à un texte qui s’épure. Je peux garder le souffle que je veux donner au texte dans une nouvelle et c’est moins épuisant que dans un roman. Je trouve ça très pesant de vivre, lire, respirer avec les mêmes personnages pendant des années. Ce n’est pas pour rien que j’alterne. Ça me fait tout drôle de faire une rétrospective de ce que j’écris. Je ne renie aucun de mes livres. J’ai eu un tel bonheur de voir le premier, Les mots pour séduire, publié par Anne-Marie Alonzo. Je ne sais pas si j’aurais continué si celui-là n’avait pas été publié.
Lectrice boulimique et éclectique, elle a dans son sac le très beau livre de Jean-François Caron, Rose Brouillard, le film. Mais elle vient de terminer A Suspicious River de Laura Kasischke.
M. M. : Je lis de tout et je passe d’un classique de Flaubert au dernier roman dont tout le monde parle. Je lis beaucoup de poésie, je peux passer de Louise Dupré à des romans américains en traduction. Par contre, c’est presque toujours l’écriture qui m’attire, le souffle, plus que l’histoire qu’on veut me raconter. Je cherche avant tout un rythme. On est encore dans la musique!
Celle qui travaille lentement a en ce moment trois projets dans ses cahiers. Elle a commencé à écrire tard, dans la trentaine et la conscience du temps qui passe s’inscrit dans ses réflexions.
M. M. : Je voulais dépasser ce à quoi on me destinait et j’ai attendu longtemps. En prenant de l’âge, on perd des gens, on perd des choses, on a les deuils de nos parents, de nos modèles, d’amis. On voudrait prendre notre temps, mais… je n’ai jamais eu autant de projets en même temps, c’est très exigeant!
Je ferme l’enregistreuse, l’entrevue est terminée, on continue la conversation et soudain, Micheline Morisset a quelque chose à ajouter, dans l’urgence de la fin :
M. M. : J’ai une sensibilité pour le fait politique et je trouve regrettable que tant au Québec qu’au Canada, on ne fasse pas de place à nos intellectuels et à nos chercheurs. Je crois qu’on a un très fort fond judéo-chrétien qui nous fait croire que c’est péché d’avoir des idées, d’être critique et de prendre l’espace public pour nommer ce qui ne va pas. J’ai de la peine quand je vois qu’il n’y a pas de lieux présentement où les intellectuels prennent la parole. Traditionnellement, il y avait une place pour les penseurs à Radio-Canada. Ça a rapetissé comme peau de chagrin, ça n’existe plus, ce n’est pas normal et ça me fâche.
Décidément, Arthur Buies n’est pas très loin…