
Vient de paraitre… Le chemin de la Renifleuse. L’histoire de Coucou, marin fantôme de l’île aux Pommes, par Gaston Desjardins, aux éditions GID. Je me suis entretenue de ce récit poético-mythologique peu banal avec son auteur.
Catherine Broue : Voilà un titre intriguant, Le chemin de la Renifleuse. Le sous-titre l’est encore plus : L’histoire de Coucou, marin fantôme de l’île aux Pommes. De quoi s’agit-il au juste?
Gaston Desjardins : D’abord c’est l’histoire d’un récit, ou de plusieurs récits étalés dans le temps qui appartiennent au fleuve, au Bas-du-Fleuve, à ses légendes, à son vécu ; un vieux manuscrit trouvé dans une épave nous révèle l’histoire de Coucou, témoin d’un monde qui n’a plus cours, unique survivant que l’on aurait privé de sa destinée et qui tente de reprendre le fil de sa propre histoire. Ramassant un à un les souvenirs éparpillés par la folie des vents tueurs d’humanité, Coucou refait le chemin de son ancien monde, le chemin de la Renifleuse, celui où reprennent vie les légendes, les lieux, les événements et les personnages insolites de sa vie passée.
C.B. D’où vous est venue cette idée?
G.D. C’est en écrivant La mer aux histoires, qui traitait d’une multitude d’aspects de notre imaginaire maritime, que s’est confirmée mon envie d’écrire l’histoire de Coucou, de raconter à mon tour cet imaginaire qui m’habite.
Le récit fait appel à mon enfance, bien sûr. Mais il fait écho à un passé plus vieux encore (ce n’est pas peu dire!). Il nous emporte, par un relais de générations, dans une petite communauté villageoise qui vivait, jadis, sur les rives du Saint-Laurent. C’est la chronique d’un monde oublié dont on ne cultive plus la mémoire, d’un monde obscur, sans histoire, dont on a perdu les traces. Dans mon récit, j’essaye de donner forme à cette mémoire refoulée qui fonde notre appartenance, à l’esprit d’un monde devenu archaïque, folklorique.
C.B. Quelle est donc cette étrange communauté que l’on retrouve dans votre récit ? A-t-elle vraiment existé?
G.D. C’est un monde inventé, bien sûr, mais il s’appuie sur des éléments bien réels ou qui ont déjà existé, notamment sur des lieux et des personnages de mon enfance. D’abord, des lieux bien réels que vous connaissez peut-être. L’île aux Pommes : une toute petite île, située entre l’île Verte et l’île aux-Basques. Une île de pierre toute humble qui porte encore son aura de mystère. C’est un endroit discret, secret, sans attraits, sans histoire. C’est là que vit le narrateur et qu’il écrit sa chronique. L’auberge des pilotes. (Sur la couverture. Vous connaissez sans doute cette très vieille maison en ruine qu’on peut encore voir depuis la route 132 à l’ouest de Trois-Pistoles.) La maison isolée est plantée au milieu d’un champ de pacage. Les murs sont encore debout même après 200 ans de négligence, d’offense et d’indifférence, des murs imposants faits de grosses pierres rouges alourdies de mousse et de patines. Dans mon enfance, c’était un lieu chargé de fantômes, le lieu de toutes les légendes, de tous les prodiges. Un lieu maléfique, qui nous apparaissait comme une sorte d’antichambre de l’au-delà. C’est une bâtisse qui résiste avec une force étonnante aux rigueurs des intempéries. On ne sait pratiquement rien de cette maison, si ce n’est qu’elle aurait été érigée au début du XIXe siècle et qu’elle aurait servi d’auberge et de taverne aux marins du Saint-Laurent. Pas de recherche plus poussée, pas de trace, pas de fouille archéologique, pas de témoignages écrits, pas de mémoire attestée. Que des rumeurs et des croyances. C’est la vie tumultueuse de cette auberge qui est racontée dans le roman. L’autre lieu d’importance, c’est un village, un chemin longeant la rivière Trois-Pistoles. C’est le chemin de la mémoire, le chemin du récit, celui de mon enfance et de mon appartenance.
C.B. Et les personnages…? Coucou, Gamesch, Batoche, Lilou la Rouge, Alexis Moignon… ?
G.D. Coucou, le narrateur, le protagoniste, est un personnage mythique, une sorte de prototype du héros québécois du XIXe siècle. C’est un personnage inventé, une sorte d’amalgame de figures anciennes, dopé à l’imaginaire, mais qui s’inspire fondamentalement d’un homme ayant réellement séjourné sur l’île aux Pommes au XIXe siècle et dont on ne sait, à vrai dire, que bien peu de choses. La Renifleuse, c’est une femme mystérieuse, rodeuse et solitaire, une marcheuse comme on en trouvait souvent dans les villages d’autrefois. Elle incarne l’esprit et la mémoire du lieu. Les gens de l’auberge, c’est toute une galerie de personnages typiques des villages et des tavernes de jadis, des figures insolites, extravagantes, des héros de pacotille. Bref, un monde de souvenirs, de répliques surprenantes, de silences et de rêves.
C.B. Et au-delà du récit, diriez-vous que Le chemin de la Renifleuse est une réflexion sur la mémoire ? sur la mort ?
G.D. En fait, Le chemin de la Renifleuse, c’est le récit d’un désir : celui de laisser en partant, à ceux qui restent, la trace de ses joies, de ses peines, de ses amours, de ses histoires, réelles ou inventées. C’est aussi une réflexion sur le temps, la mémoire et le rapport affectif que l’on peut entretenir avec les lieux et avec le passé. C’est un récit poétique qui évoque l’appartenance, la solitude et la mort. Sous des allures de légende ancienne, il propose un foisonnement de tableaux et de héros insolites qui affrontent à leur manière la destruction et la déshumanisation du monde… et cherche ce faisant à le ré-enchanter.