
20 ans déjà! Salut aux ancêtres, en particulier au Noiraud à Bérubé qui en eut la brillante idée et à la Fernande qui lui a donné sa facture unique! Le dur désir de durer a donc perduré. Journal indépendant le temps d’une génération, ce n’est pas rien. Chapeau!
Ni nostalgique, ni célébrant du bon vieux temps, j’ai souvenir de ce qui m’a fait m’improviser chroniqueur à l’initiative du Noiraud. Comme citoyen, c’était l’idée simple de faire advenir le débat d’idées sur la place publique. La diversité des points de vue est le sel de la vie démocratique, une condition essentielle de l’avancement d’une société. Faire entendre ma voix, certes, mais celle des autres aussi. Nos médias régionaux étaient frileux en 1995. Ça n’a pas changé. Débattre au Québec est une affaire privée, et encore!… On peut lire dans un récent Mouton que « la démocratie se nourrit de débats, de discussions enflammées et parfois même d’affrontements ». Ah oui! Eh ben, pourquoi pas dans vos colonnes?
Aussi, je vais tenter de vous provoquer un peu plutôt que de vous ensevelir sous les fleurs! Parce que je crois à ce journal, qui souffre d’un esprit de sérieux et donne trop souvent, à mon sens, dans le prêt-à-porter idéologique. Qui manque d’ironie, du choc des points de vue, de divergences. Je ne sais ni à quel moment ni pourquoi vous avez largué le sous-titre « Journal d’opinion », mais ça indiquait pile les intentions originelles. Comme une invite à toutes les composantes de la Cité.
Pour débattre, au moins deux idées sont nécessaires. Vous logez à gauche toute, à l’ombre du souverain Bien : nationaliste, écologiste, féministe, syndicaliste, régionaliste, altermondialiste, toutes choses parfaitement honorables, mais dont les codes collectivistes, les mots d’ordre, la distribution des rôles des bons et des méchants sont tristement prévisibles, connus et rabâchés. Les épouvantails récurrents portent à sourire, les appels au loup lassent. Oh! ça conforte la bien-pensance, qui a pour elle la supériorité morale et la certitude d’être du bon bord des choses.
On ne risque pas grand-chose à rester bien au chaud entre nous. À prêcher aux convertis. Hélas, le monde, quand on met le nez dehors, est autrement plus complexe, plus gris. Et rien de plus plat que d’entreprendre la lecture d’un article qu’on pourrait aussitôt amener, les yeux fermés, jusqu’à sa destination finale. Reste qu’il est peut-être utopique de rêver un journal régional porteur d’une vraie diversité d’opinions. Dans les petits milieux, l’effet de proximité joue à plein. Il faut beaucoup de courage pour ne pas partager la pensée commune.
Malgré ma peine d’amour perdue, je crois plus que jamais Le Mouton nécessaire. Dans vos pages culturelles, on trouve souvent à boire et à manger. Votre territoire s’est agrandi et c’est très bien. Bien sûr, des textes ou un numéro sortent parfois du lot. Je sais que vous faites tout ça à l’huile de bras, et que c’est plus que méritoire. Mais après 20 ans, quelqu’un, quelqu’une se décidera-t-il à brasser un peu la cabane? À inviter des voix discordantes à se faire entendre? À faire entendre d’autres paroles? À provoquer de vrais débats? À l’heure où la convergence médiatique triomphe, une presse indépendante est plus que jamais essentielle. Mais vraiment indépendante!
Un journal, c’est toujours un projet comme toute entreprise humaine. Je ne suis pas en train de décrier ce que vous faites, en prétendant que c’était mieux avant. Je vous dis Le Mouton dont je rêve : ouvrez un peu les fenêtres et tentez, juste pour voir, quelques textes qui soient non alignés, non consensuels, non identifiés, quitte à vous faire servir, comme l’écrit Philippe Muray : « Ah! oui, mais ça n’engage que vous ce que vous dites là. Vous. C’est-à-dire une seule personne. C’est-à-dire personne. L’Empire du bien, c’est d’abord l’empire du combien ».
Longue vie au Mouton… Noir!
Eudore Belzile, cofondateur et chroniqueur au XXe siècle