
L’histoire nous rappelle que certains moments dans la vie d’une communauté sont des points de bascule. Et ce ne sont pas nécessairement ceux qui ont marqué l’imaginaire populaire. Pour le Québec, on n’a qu’à penser à 1995, l’année du référendum perdu. Toute l’attention avait été mise sur la possibilité pour le Québec de devenir un pays. Rappelons qu’une autre démarche d’autodétermination a aussi eu lieu en parallèle cette année-là. À l’époque, Jacques Parizeau, pressé par les groupes environnementaux, avait lancé une grande consultation publique sur l’avenir énergétique du Québec aboutissant à un rapport intitulé « Pour un Québec efficace ». La société civile avait choisi trois grandes orientations pour l’avenir énergétique du Québec : l’efficacité énergétique, le développement des énergies renouvelables et, si nécessaire, la poursuite du développement hydroélectrique. Malheureusement, son successeur, Lucien Bouchard, s’est empressé de tabletter ce rapport avec l’aide d’André Caillé, qui venait d’être nommé à la tête d’Hydro-Québec. Il faut savoir qu’André Caillé avait passé plus de 20 ans chez Gaz Métropolitain… Scandale qui accoucha… d’une souris!
Explorer en toute discrétion
Dans la foulée de la course au déficit zéro et du réalignement du Québec sur la voie du Québec inc., le gouvernement du Parti québécois, sous Lucien Bouchard, s’est engagé dans une entreprise de réduction de l’État. En effet, dès 1996, Hydro-Québec se lance dans l’exploration des hydrocarbures. Le gouvernement oblige la Société québécoise d’initiatives pétrolières (SOQUIP), créée en 1969, à vendre une partie importante de sa participation dans Noverco et Gaz Métropolitain. En achetant le bloc d’action de contrôle (50,38 %) au prix de 197 millions de dollars, Hydro-Québec devient le plus important actionnaire de Noverco, la holding qui chapeaute la société Gaz Métropolitain, qui transporte et distribue le gaz naturel au Québec et dans le nord-ouest du continent nord-américain.
En 1998, le gouvernement du Québec démantèle la SOQUIP qui devient l’une des 12 filiales de la Société générale de financement (SGF) et qui sera dissoute vers 2004. L’année suivante, Jean-Yves Lavoie, un ancien ingénieur pétrolier employé de la SOQUIP, fonde la société Junex; Jacques Aubert, président de la SOQUIP, se joint à Junex. En 2001, le gouvernement du Québec mandate Hydro-Québec afin de créer sa propre division Pétrole et Gaz. Un programme de 330 millions de dollars sur une dizaine d’années est prévu pour l’exploration des énergies fossiles. De ce montant, Hydro-Québec Pétrole et Gaz investit 9,8 millions de dollars en travaux d’exploration pétrolière sur l’île d’Anticosti.
En 2003, Hydro-Québec tente d’obtenir une option sur le projet Old Harry. Elle verse alors un montant de 500 000 dollars à la compagnie Corridor Resources d’Halifax. Le fait marquant de 2005 est l’acquisition d’un nombre important de permis d’exploration sur Anticosti par la société Talisman Energy Inc. de Calgary. Un an plus tard, cette société fore un premier puits à Bécancour en partenariat avec la compagnie Questerre et trouve du gaz. Hydro-Québec n’a pas fini de faire couler de l’encre. En 2007, André Caillé quitte ses fonctions de PDG et laisse sa place à Thierry Vandal. Hydro-Québec Pétrole et Gaz se départit de ses parts et cède pour une bouchée de pain (0,10 $ l’hectare) ses droits en exploration à trois sociétés privées soit Junex, Gastem et Pétrolia. Peu de temps après, nous apprendrons qu’André Caillé est devenu conseiller chez Junex…
Mobilisation citoyenne et études
À partir de 2010, après la catastrophe pétrolière dans le golfe du Mexique, une formidable mobilisation citoyenne québécoise s’organise. L’objectif : sensibiliser la population aux projets pétroliers et gaziers dans le golfe du Saint-Laurent. Par ailleurs, rappelons que le gouvernement du Québec s’était déjà engagé à mener des évaluations environnementales stratégiques (EES1 et EES2) dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent. Résultat : l’EES1 a mené à une interdiction permanente de toute activité pétrolière et gazière dans tout le lit du Saint-Laurent à partir de la pointe ouest d’Anticosti jusqu’à l’Ontario incluant les îles. Les permis émis furent révoqués sans compensation. La deuxième évaluation, menée par l’entreprise Genivar, a relevé plusieurs éléments importants : le manque d’acceptabilité sociale pour ces projets, le cadre légal inadéquat, les lacunes importantes au sujet des connaissances de l’écosystème, l’incapacité des autorités à faire face à un déversement et la nécessité de voir le golfe du Saint-Laurent comme un tout et non comme un milieu pouvant être divisé. Aujourd’hui, le gouvernement n’a toujours pas levé le moratoire, mais il ne cache pas sa volonté d’ouvrir la voie à l’exploration et à l’exploitation des hydrocarbures.
L’avancée des compagnies gazières dans la vallée du Saint-Laurent a mené la mobilisation citoyenne à son paroxysme. À l’été 2010, le gouvernement Charest s’est vu forcé de déclencher un Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) à propos du développement durable de l’industrie du gaz de schiste. Depuis ce temps, on a mené une étude environnementale stratégique sur le gaz de schiste, un BAPE générique sur le gaz de schiste s’attardant uniquement à la vallée du Saint-Laurent, une Commission sur l’avenir énergétique du Québec. De multiples forums sur la question des hydrocarbures – parfois financés par l’industrie – ont eu lieu. On a assisté au retour en force des travaux de carottage sur Anticosti grâce à un investissement de 110 millions de dollars du gouvernement du Parti québécois. On a procédé à l’adoption du Règlement bidon sur le prélèvement des eaux et leur protection (RPEP) rendant inopérant le Règlement dit de Saint-Bonaventure adopté par plus de 70 municipalités. On a élaboré une nouvelle politique énergétique (2016-2025) incluant une évaluation environnementale stratégique propre à Anticosti et une autre visant l’ensemble des hydrocarbures au Québec. Fait important : tout récemment, plus de 250 municipalités ont fait front commun afin de déroger au règlement sur le prélèvement des eaux. Tant que la vigilance citoyenne est de mise, il est permis d’espérer.
Au-delà des emprises fédérales
Il y a eu et il y a encore énormément d’implication citoyenne dans le dossier de l’exploitation pétrolière. Nous n’avons qu’à penser à l’organisation des nombreuses manifestations, à la rédaction de mémoires et d’articles dans les journaux, à la tenue de multiples conférences un peu partout à l’échelle du territoire québécois, à la réalisation de documentaires, etc. Rappelons, par ailleurs, que toute cette implication est et fut essentiellement bénévole… Grâce à l’intelligence citoyenne et malgré qu’il n’y ait toujours pas de moratoire sur le développement de l’ensemble de la filière des hydrocarbures, le Québec n’est toujours pas devenu une « pétro-province ». En revanche, si nous regardons du côté fédéral, depuis 2013, avec l’avènement de la « tuyauterie » bitumineuse, des superpétroliers sillonnant le Saint-Laurent et des trains de la mort déraillant de temps en temps comme à Lac-Mégantic, le Québec se retrouve dans une situation très complexe. La population québécoise ne peut rester indifférente devant l’invasion bitumineuse et schisteuse de son territoire par les emprises fédérales : chemins de fer, oléoducs et voies navigables.
Des Québécois porteurs de goudron? Non merci! Nous pouvons et nous devons refuser ces projets indésirables, même s’ils relèvent de la juridiction d’Ottawa. À défaut d’être un pays souverain, soyons au moins une province qui se tient debout devant l’inacceptable!
Les pays riches de demain seront les pays les moins dépendants des hydrocarbures. Il en va de l’avenir écologique, économique et social de tous.