Voici, de manière que je reconnais être subjective, et repérés depuis mon poste d’observation dans une faculté universitaire d’éducation, les changements survenus en éducation depuis 20 ans que je pense être parmi les plus importants et les plus significatifs.
Si on accepte cette sélection, on conviendra sans doute qu’elle pointe vers certaines avenues dans lesquelles il serait pertinent d’engager ou de poursuivre la réflexion ou l’action.
J’ouvrirai ce bilan sur la question qui a dominé toutes les autres, avant de rappeler que des débats, qu’on tenait il y a 20 ans, n’ont toujours pas été résolus, tandis que d’autres enjeux importants sont apparus.
Une réforme et ce qui s’ensuit
Il y a 20 ans, en avril 1995, le Québec lançait des États généraux de l’éducation, vaste réflexion collective sur les mérites et les défauts du système scolaire légué par la Révolution tranquille et la commission Parent. Ils déboucheront sur une réforme de l’éducation et on doit convenir, je pense, des quatre importantes conclusions suivantes.
La première est que cette réforme aura été une manière de trahison de la très consensuelle demande de rehaussement du curriculum qui se dégageait des États généraux, au profit d’une très substantielle transformation pédagogique prônée par les réformistes.
La deuxième est que les méthodes pédagogiques préconisées étaient largement contraires à celles que la recherche crédible désignait comme le plus efficace et demandait d’adopter.
La troisième est que, entre autres pour cette raison, la réforme a suscité de vives et dommageables controverses.
La dernière est que, comme c’était prévisible, la réforme n’a pas tenu ses promesses.
On n’a pas fini, je pense, de tirer les leçons de tout cela. Parmi celles qui devraient s’imposer, je note celle de tenir le plus grand compte de la recherche crédible pour proposer des changements significatifs et celle de les tester à petite échelle avant de les implanter.
Il faudra encore, vaste programme, se demander comment un tel détournement du consensus démocratique (celui des États généraux) et du consensus scientifique a pu être possible.
Mais une chose positive doit être soulignée : la recherche crédible, en éducation, à défaut d’être bien connue, est désormais une voix qu’on entend dans la conversation démocratique.
Débats et enjeux récurrents
J’en propose quatre.
Il y a vingt ans, devant les faméliques participations aux élections scolaires, on s’interrogeait déjà sur le rôle et la place des commissions scolaires dans la gestion de l’offre éducative. Ce débat reste ouvert et irrésolu et il demande qu’on s’interroge sur la nature et les fonctions de ces institutions, voire sur leur existence même, et, le cas échéant, qu’on décide du mode d’élection des personnes qui y œuvrent.
Le débat sur la place de la religion à l’école n’a pas vraiment disparu : il s’est en quelque sorte déplacé vers ce qui prétendait le résoudre, le fameux cours d’Éthique et culture religieuse (ECR). C’est à travers sa critique et sa défense que la question de la laïcité du système scolaire est désormais posée.
Il y a une vingtaine d’années, on a substantiellement transformé la formation des maîtres, en allongeant leur formation à quatre ans et, pour ce qui est du secondaire, en augmentant la formation pédagogique tout en minorant la formation disciplinaire. L’accès à la profession des bacheliers dans une discipline (histoire, français, mathématiques, etc.) par l’obtention d’un certificat en éducation est ainsi devenu impossible.
On espérait combler par cette nouvelle manière de faire des lacunes de la formation des maîtres, mais plusieurs, dont je suis, pensent qu’on a ainsi créé de vrais problèmes causés par le recul des connaissances disciplinaires des maîtres du secondaire. La formation qu’il convient de donner aux maîtres reste ainsi à l’ordre du jour.
Vous aurez deviné le quatrième élément de cette énumération : on parlait il y a vingt ans d’austérité en éducation et des torts qu’elle cause…
Nihil novi sub sole, comme on disait dans les classes de latin d’autrefois … si ce n’est que la tendance s’est accentuée et que, pour la première fois depuis longtemps, le public se mobilise et semble préoccupé par les coupes imposées au système scolaire : ce qui est encourageant.
Mais il faut à présent en venir à des questions et à des défis nouveaux qu’on apercevait peu il y a deux décennies.
Nouvelles questions et nouveaux défis
Un des effets de l’austérité permanente, à l’université, aura été d’induire une mutation qui se poursuit et dont on n’a sans doute pas fini de constater les effets. Une conception managériale et marchande de l’université se déploie, au Québec comme ailleurs dans le monde, et on observe déjà ce qu’elle peut signifier pour la recherche qui y est menée.
La généralisation d’un modèle de recherche aux objets déterminés par des subventionnaires privés qui s’en approprient les retombées est alors à craindre et on peut raisonnablement penser qu’on n’a pas fini de constater ce qu’entraîne, pour l’université, ce que le sociologue Michel Freitag décrivait comme son passage d’un statut d’institution à celui d’organisation.
Cet enjeu de la commercialisation est aussi présent à tous les autres ordres d’enseignement et on l’aperçoit nettement à propos des TIC (Technologies de l’information et de la communication). Toutes ces technologies aujourd’hui courantes n’existaient pas ou guère pour le grand public il y a 20 ans : la question de leur intégration à l’école se pose aujourd’hui de manière aiguë, entre promesses technophiles rarement tenues et pression mercantile pour acheter quantité de produits censés révolutionner l’école. Le récent et tellement triste épisode des tableaux blancs interactifs (TBI) devrait tempérer l’enthousiasme des uns et nourrir chez toutes et tous un sain scepticisme.
Terminons sur une note plus positive.
Plusieurs personnes et organismes, à commencer par mon collègue Égide Royer, ont porté sur le devant de la scène éducative la question des élèves en difficulté. Le chantier est vaste, les tâches qui nous attendent immenses, mais la prise de conscience est réelle et bienvenue.
Porter sur ce terrain l’idéal de l’égalité des chances doit être aujourd’hui et demain un objectif partagé par tout le monde. Ne pas s’élever à cette hauteur serait indigne de nous!