Champ libre

La BD québécoise, 20 ans après Croc

Par Philippe Marcotte le 2015/09
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Champ libre

La BD québécoise, 20 ans après Croc

Par Philippe Marcotte le 2015/09

L’année de naissance du Mouton nous ramène à l’année de la disparition de Croc, monument de la bande dessinée et de l’humour québécois. En 1995, c’est effectivement la fin de l’aventure pour le magazine dans lequel « c’est pas parce qu’on rit que c’est drôle ». Les deux publications ne sont d’ailleurs pas sans filiation : la critique sociale, l’indépendance, l’irrévérence, la proximité avec le lecteur sont des valeurs que les deux titres partagent.

D’une certaine façon, la mort de Croc marque un point de bascule dans l’évolution de la bande dessinée québécoise. Rarement y retrouvera-t-on par la suite l’humour satirique, grinçant, gras (souvent très gras) qui caractérisait Croc. Un humour plus politique également. D’aucuns diraient que cette trajectoire a été la même que celle de l’humour au Québec en général.

Il faut dire que, au moment où meurt Croc au Québec, c’est outre-Atlantique la grande déferlante de la bande dessinée indépendante, souvent autobiographique. La même année paraissent notamment Approximativement de Trondheim (éd. Cornélius) et Livret de Phamille de J.C. Menu (L’Association). Ces deux albums, démonstrations magistrales de la pertinence de parler de soi (et des autres à travers soi), donneront une solide impulsion à l’autobiographie en bande dessinée.

La bande dessinée québécoise n’a pas tardé à entrer dans la vague de l’autobiographie, amenant le neuvième art d’ici, il est vrai, à des kilomètres de Croc. Quelques années auparavant, Julie Doucet avait déjà publié son fanzine Dirty Plotte, narration trash de ses angoisses quotidiennes, partiellement repris en 1996 dans Ciboire de criss! (L’Association). Peu après, Michel Rabagliati commence l’aventure des Paul(La Pastèque) et Guy Delisle, à narrer sa vie d’exilé dans Pyongyang et Shenzhen (L’Association). Tous à leur façon font de la bande dessinée un art plus intimiste et réflexif, sortant définitivement du carcan de l’humour institué par Croc.

Depuis, l’autobiographie est devenue à la bande dessinée ce que les émissions de cuisine sont à la télévision. Il y a surabondance, c’est le moins qu’on puisse dire. Ce qui n’est évidemment pas nécessairement pour le mieux. Le genre ne garantissant pas la qualité, il y a forcément de la pâle copie (particulièrement quand on confond l’autobiographie avec une page Facebook). Mais, surtout, l’actuelle prédominance du genre autobiographique fait qu’on en oublie presque qu’il y a eu une autre bande dessinée québécoise auparavant. Sans rien enlever à Rabagliati, qui n’est pas le fondateur de la bande dessinée québécoise, ce que lui-même ne manque pas de rappeler dans ses œuvres.

Les vingt ans de la fin de Croc sont justement un bon prétexte pour se rappeler ce qui se faisait avant. Était-ce mieux ou pas? On peut maintenant aller voir par soi-même, puisque les séries phares de la revue (Jérôme Bigras, Red Ketchup, Michel Risque, La légende des Jean-Guy) ont été rééditées à la Pastèque, que l’on doit remercier de garder ce patrimoine bien vivant. L’intégralité des numéros de Croc est quant à elle disponible en version numérique sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. L’occasion est belle de s’y replonger, et de se rappeler la déjà longue petite histoire de la bande dessinée.

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