
«J e suis un putain de bordel. Je suis une faille. Je suis dérision au milieu de l’absurde. Je suis divague. J’attribue une entité distincte à mon cerveau et je cherche à le rendre responsable de mon agonie mentale. Je suis regret. Doute. Incertitude. Je me cherche une maladie mentale pour me décharger de la responsabilité de mon mal de vivre. Je suis croche. Tordue. Je ne dors pas. Je me sens à l’écart du monde. » C’est ainsi que se décrit Ève, la narratrice de L’amertume du citron. Avec tous les symptômes de santé mentale qui apparaissent au fil des pages, on croit faire un survol du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Mais soyez rassurés : malgré la lourdeur qui accable la protagoniste, le lecteur, lui, ne sort pas déprimé de sa lecture. Au contraire.
Le roman de Joannie Langlois, originaire de La Matapédia, s’amorce dans un rythme saccadé où les phrases courtes se succèdent, sans alternance avec d’autres, plus fluides. L’intention de nous plonger rapidement dans le chaos intérieur d’Ève peut sembler ratée par l’effet télégraphique qui, fort heureusement, ne dure pas. Assez tôt, on navigue avec elle, bercé par une plume habile, tantôt poétique, tantôt ironique, et attiré par la rencontre de personnages attachants : le petit Victor, par toute sa candeur d’enfant, raccroche Ève au monde réel; Maurice, le vieux libraire, à la manière de monsieur Ibrahim d’Éric-Emmanuel Schmitt, participe à la quête existentielle de sa jeune collègue et amie, qu’il aime comme sa propre fille; Alexis le facteur, par son humanité, perçoit chez Ève ce qu’elle-même n’arrive pas à voir.L’amertume du citron, malgré son titre ludique et certains thèmes communs, ne sympathise pas pour autant avec la « chick lit » ou la littérature populaire. L’auteure a su réunir tous ces ingrédients dans un roman d’apprentissage sans jamais tomber dans les grands clichés ou le mélodrame.
Le talent de la jeune Joannie Langlois se manifeste de belle façon. Sa passion pour la musique et les livres transpire dans les 172 pages de ce trop court récit – c’est que j’aime que les personnages auxquels je m’attache vivent plus longtemps. Des extraits de chansons ou de romans accompagnent la narration au gré des humeurs des personnages. Si un certain bagage de connaissances s’avère parfois nécessaire pour reconnaître les œuvres en question, certaines appartenant aux années 80, elles s’inscrivent dans l’histoire avec suffisamment de fluidité pour que tout lecteur en profite.
Enfin, Ève a toujours jonglé avec le bonheur et le malheur, le bien-être et la souffrance. Ce cirque prendra-t-il fin? Trouvera-t-elle sa place dans ce monde de désillusions? L’amertume du citron, qui se lit d’un trait, un sourire en coin, réussit non seulement à nous captiver, mais à nous pousser dans des réflexions qui orienteront notre propre existence.
« Environ une demi-seconde après avoir terminé votre livre, après avoir lu le dernier mot, le lecteur doit se sentir envahi d’un sentiment puissant; pendant un instant, il ne doit plus penser qu’à tout ce qu’il vient de lire, regarder la couverture et sourire avec une pointe de tristesse parce que tous les personnages vont lui manquer. Un bon livre, Marcus, est un livre que l’on regrette d’avoir terminé », écrit Joël Dicker dans La vérité sur l’affaire Harry Quebert. Et Joannie Langlois réussit sans contredit cet exploit avec son premier roman.
Joanne Langlois, L’amertume du citron, Les Éditions première chance, 2015.