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Repenser le rôle des baleines dans les océans

Par Lyne Morissette le 2015/06
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Repenser le rôle des baleines dans les océans

Par Lyne Morissette le 2015/06

Les océans sont exploités à l’extrême. Les technologies, de plus en plus efficaces, nous permettent maintenant d’en extraire pétrole, poissons et autres ressources, avec les risques que cela comporte. Les baleines ne font pas exception. Une étude récente de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) présente la première évaluation globale du nombre de baleines tuées par chasse commerciale durant le dernier siècle : c’est près de trois millions de cétacés que nous avons chassés, ce qui représente le plus grand massacre animal — en termes de biomasse — de l’histoire de l’humanité. Pour certaines espèces, comme la baleine franche ou encore le rorqual bleu, cette chasse extrême a mené les populations au seuil de l’extinction. Mais au fond, est-ce vraiment important? Qu’est-ce que ça change que les baleines disparaissent? Cette question mérite qu’on s’y intéresse et qu’on renouvelle notre vision du fonctionnement des écosystèmes marins.

Mythiques baleines

« Songez à la ruse de la mer et à la manière dont ses créatures les plus redoutables glissent sous l’eau, à peu près invisibles, traîtreusement cachées par les plus suaves tons d’azur. » – Herman Melville, Moby Dick

De nos jours, nous ne redoutons plus les baleines, mais leur caractère mythique demeure. Durant de nombreuses années, on a pensé que les baleines étaient trop rares pour faire une quelconque différence dans les océans. C’était une erreur.

La place des baleines dans les océans est encore mal comprise. En raison de leur grande taille par exemple, on pourrait penser que ces bêtes sont de redoutables prédateurs qui mangent tout le poisson que nous, humains, pourrions pêcher. Cet argument est utilisé par le Japon pour faire pencher le vote de la Commission baleinière internationale en faveur d’une reprise de la chasse commerciale à la baleine, sous moratoire depuis 1982. Ce moratoire est remis en question chaque année, et on se sert souvent de l’ignorance populaire pour orienter le débat. Or, une importante étude a démontré que même une éradication complète de toutes les populations de grandes baleines n’entraînerait pas un gain significatif de biomasse de poissons d’importance commerciale. La raison est fort simple : les interactions entre toutes les espèces sont très complexes et génèrent des effets indirects très importants dans les écosystèmes marins. De plus, les baleines ne s’alimentent que très peu dans les endroits où cet argument est utilisé : les Caraïbes, l’Afrique de l’Ouest et le sud du Pacifique, des milieux pauvres où les populations dépendent largement des ressources marines et qui voient dans les promesses du Japon de faux espoirs de prospérité économique.

Le déclin des grandes baleines, estimé à 66 % par rapport à leurs niveaux d’origine et pouvant même atteindre 90 % pour certaines espèces, a largement altéré la structure et la fonction des écosystèmes. Mais à force de conservation, il y a de l’espoir, car certaines populations commencent maintenant à s’en remettre. La bataille est cependant loin d’être gagnée, car la recrudescence de cétacés fait peur à plusieurs qui, a tort, craignent pour leurs ressources.

Le « génie » des cétacés

« On protège ce qu’on aime, et on aime ce qu’on connaît. » – Jacques Cousteau

Les baleines jouent un rôle crucial dans les océans. Avec des collègues, je publiais dernièrement une étude les qualifiant « d’ingénieures des écosystèmes1 », car elles assurent, de diverses façons, leur fonctionnement optimal. Elles interagissent avec plusieurs types de poissons et d’invertébrés, ce qui contribue à la structure des écosystèmes, elles sont elles-mêmes consommées par d’autres prédateurs comme les épaulards, et distribuent les nutriments dans la colonne d’eau. Même leur carcasse, une fois coulée au fond, devient un habitat pour une vaste gamme d’espèces qui existent exclusivement sur les baleines mortes.

Les processus écosystémiques sont complexes et il est bien risqué de tenter de les expliquer par des simplifications extrêmes du genre « moins de baleines, plus de poissons ». Cette complexité est telle qu’on peut maintenant établir un lien entre la présence des baleines et la lutte contre les changements climatiques! S’alimentant souvent dans les profondeurs, les baleines défèquent à la surface lorsqu’elles remontent respirer. Ce comportement provoque une fertilisation de la surface, bénéfique à la croissance du phytoplancton qui, comme les plantes terrestres, absorbe le gaz carbonique de l’atmosphère pour produire de l’oxygène. Comme 70 % de la surface de notre planète est recouverte d’océans, l’effet du plancton n’est pas négligeable.

Une baleine vivante vaut beaucoup plus qu’une baleine morte. C’est à force de bien comprendre comment fonctionnent nos océans qu’on pourra un jour adéquatement les protéger.

  1. Roman et al., « Whales as marine ecosystem engineers », Frontiers in Ecology and the Environment, vol. 12, 2014, p. 377-385.

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