
Près du tiers du territoire québécois – de la frontière américaine à l’Arctique, du Témiscamingue à Blanc-Sablon – est constitué de forêt commerciale publique qui représente 424 114 km2. Nous, citoyennes et citoyens du Québec, sommes propriétaires de ce territoire. Le gouvernement du Québec ne le gère qu’en tant que fiduciaire et représentant du peuple. En notre nom, ce gouvernement a la responsabilité de gérer les droits d’accès, d’extraction et de gestion du territoire, tout en ayant un pouvoir d’aliénation, c’est-à-dire le pouvoir de déléguer ou de céder ces droits à une entité légale : privée, communautaire, publique, etc. Or, l’analyse des droits d’extraction de la matière ligneuse (coupe de bois) révèle qu’environ 97 % des volumes de bois sont attribués aux détenteurs d’usines de transformation, en grande majorité des entreprises multinationales. Nous sommes donc partie prenante d’un système forestier centralisé par le gouvernement, où les droits d’extraction sont délégués quasi exclusivement à la grande industrie forestière transformant la matière ligneuse en produits ayant une faible valeur commerciale et créant de moins en moins d’emplois par quantité de bois donné. Il s’agit d’un système peu efficace tant d’un point de vue économique, social qu’environnemental. En tant que propriétaire de la ressource, approuvons-nous ce système?
À travers le monde, une proportion grandissante de forêts publiques est déléguée à des communautés, à des municipalités locales ou à des coopératives. Les projets découlant de ces délégations sont connus sous le vocable de « foresterie communautaire » (forêt habitée ou forêt de proximité au Québec). La littérature à ce propos révèle que la mise en place de projets communautaires permet généralement une diversification des économies locales et une plus grande résilience face aux variations économiques.
Bien qu’il n’existe pas de mode de tenure parfait (privé, public ou communautaire) et que le succès des projets est variable, le modèle communautaire a le mérite de créer un milieu propice à l’innovation et de favoriser le développement économique local, par la récolte de bois, mais également par la mise en valeur des ressources non ligneuses (champignons, petits fruits, etc.), récréatives et éducationnelles. Ce modèle est un puissant levier de développement économique local. Malgré le contexte politique peu favorable aux projets de foresterie communautaire au Québec, des coopératives et des OBNL réussissent tant bien que mal à œuvrer en ce sens, année après année. Alors que certaines de ces organisations possèdent des droits d’extraction des ressources, la plupart ne détiennent aucun droit spécifique sur le territoire où elles interviennent. Elles sont de ce fait même dépendantes des contrats octroyés par les compagnies forestières.
La recherche fondamentale en sciences biologiques nous apprend que nos forêts sont des systèmes écologiques d’une grande complexité, théâtre d’interactions multiples, de compétition, de collaboration et d’interdépendance. Jamais nous ne comprendrons totalement ces systèmes, mais la recherche démontre qu’une façon efficace d’assurer la survie et la santé de nos écosystèmes forestiers est de protéger la diversité biologique. Plus nous sommes en présence d’une diversité d’organismes vivants, plus un écosystème fait preuve de résilience devant une perturbation.
J’ai l’espoir que sur le plan social nous tendrons vers un système similaire. Nous ne pourrons jamais réussir à connaître parfaitement ces multiples communautés auxquelles nous appartenons. Pour assurer notre futur et notre survie à long terme, nous devons créer une diversité de stratégies, une diversité de modèles. De même, devant l’inefficacité de notre système forestier centralisé par les secteurs public et privé, il est plus que temps que les communautés locales prennent elles-mêmes en charge le territoire forestier à l’intérieur duquel elles habitent. Il est grand temps que nous reprenions le pouvoir qui est le nôtre.