
Le genre, la sexualité, la couleur de peau, le corps, la classe sociale… il y a des dimensions qui forgent le rapport au monde, l’expérience de vie. Ainsi, vivre comme personne hétérosexuelle ou blanche, par exemple, c’est bénéficier d’un ensemble de privilèges. Dans la même lignée, vivre comme entendante ou entendant, ce n’est pas seulement une question d’ouïe.
Des exemples de privilèges entendants? « Lorsque les collèges et les employeurs ne se demandent pas si vous êtes capable de faire ceci ou cela en raison de l’état de votre audition » ou, encore, « le privilège entendant est de postuler pour un emploi sans craindre de ne pas être embauché en raison de l’état de votre statut auditif1 ». Cela vous étonne?
La prise de conscience des privilèges entendants s’accompagne souvent de la reconnaissance de l’existence d’un système d’oppression, l’audisme. Inventé en 1975 par Tom Humphries, le terme audisme (du latin audire, « entendre », et -isme, « un système de pratiques, actions, croyances, attitudes ») est défini par le dictionnaire The American Heritage comme : « 1. La croyance selon laquelle les personnes qui entendent sont supérieures à celles qui sont sourdes ou malentendantes; 2. La discrimination ou les préjugés envers les personnes qui sont sourdes ou malentendantes. » Dans une courte vidéo en American Sign Language (ASL) sous-titrée en anglais, le coréalisateur du film Audism Unveiled explique de façon accessible et succincte les termes audisme, gain sourd (deaf gain) et sourditude (deafhood). Comme tout système d’oppression, l’audisme se manifeste souvent de manière subtile. Comme le remarque la philosophe Iris Marion Young, l’oppression est ce « désavantage et cette injustice que certaines personnes éprouvent non pas comme une coercition d’un pouvoir tyrannique, mais en regard de pratiques quotidiennes d’une société libérale bien intentionnée2 ».
Non pas une, mais plusieurs langues des signes
Beaucoup pensent qu’il n’existe qu’une seule langue des signes qui serait « universelle ». Or, il en existe plus d’une centaine à travers le monde. Alors que le 83e Congrès de l’Acfas qui fera place à un colloque sur les études sourdes rassemblera des gens de nombreux pays qui ont en commun la langue française, il faut savoir que ces mêmes pays ont tous des langues des signes différentes. De fait, la langue des signes québécoise (LSQ) est bien distincte de la langue des signes française (LSF), de la langue des signes de Belgique francophone (LSFB), etc.
Ce colloque sur les études sourdes sera une première au Québec, grâce à l’initiative de jeunes chercheures sourdes et de jeunes chercheurs sourds, avec la précieuse collaboration de la linguiste entendante Anne-Marie Parisot, directrice du Groupe de recherche sur la LSQ et le bilinguisme sourd à l’Université du Québec à Montréal. Le colloque rassemble des chercheures et des chercheurs ainsi que des étudiantes et des étudiants de divers domaines (anthropologie, communication, ergothérapie, études urbaines, éducation, linguistique, psychologie, sociologie), d’universités québécoises, canadiennes et étrangères, pour construire un dialogue sur les thématiques de recherche et les enjeux émergents actuels, dont la promotion des droits des sourdes et des sourds, et l’accès aux services; les créations et les expressions linguistiques en langues des signes; l’intégration et l’inclusion en milieux scolaires et professionnels; la structure d’une langue des signes et son enseignement ainsi que les appartenances et les expériences sourdes.
Les auteurs coorganisent le colloque Études sourdes dans la francophonie : assises, enjeux et perspectives qui prendra place à Rimouski les 28 et 29 mai 2015 dans le cadre du 83e Congrès de l’Acfas.
- Découvrez plus de 80 privilèges entendants dans la Déclaration sur les privilèges entendants, veroleduc.wordpress.com
- Iris Marion Young, Justice and the Politics of Difference, Princeton Paperbacks, 1990. Le groupe BWB offre également des outils de sensibilisation à l’audisme sur son site Internet : www.groupebwb.com