La technique habituelle pour privatiser consiste à rendre les mesures sociales inefficaces et non fonctionnelles et d’attendre ensuite que les gens se fâchent afin de donner la gestion de ces programmes au privé. – Noam Chomsky
Le Québec vit des heures difficiles, graves même. Ligne directrice du PLQ version 2014-2015, l’obsession du déficit zéro relève de l’idéologie plus que de l’économie : on veut avant tout réduire la place de l’État dans notre société et accessoirement assainir les finances et améliorer les services publics.
La santé est une « dépense » – terme utilisé par le Conseil du trésor – de plus de 30 G$, soit tout près de 50 % du budget du Québec. L’austère philosophie s’incarne à travers la nouvelle gestion publique. On quantifie tout, au détriment de la qualité des soins et des services et de l’autonomie professionnelle, pour ensuite demander d’en faire plus avec moins (les absences et les vacances, par exemple, sont de moins en moins remplacées). Au centre de cette « optimisation », les personnes salariées ont deux clients : celui qui demande des services et celui qui exige des statistiques – le patron. Perte de sens et épuisement sont des dommages collatéraux dont on parle rarement… faute de temps.
CISSS : la solution?
De la bouche du « tsar » de la Santé, Gaétan Barrette, la solution passe par les centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS), créatures du projet de loi no 10 (PL 10) déposé fin septembre 2014, adopté sous le bâillon en février 2015 et en vigueur depuis le 1er avril. Une mégastructure administrative, télécommandée de Québec, qui intégrera dans le Bas-Saint-Laurent 11 établissements : huit centres de santé et de services sociaux (CSSS), les agences de la santé et des services sociaux, les centres jeunesse et les centres de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement (CRDITED), soit 75 points de services pour une population de 200 920 personnes sur un territoire de 22 159 km2. Le « tsar » estime que son œuvre réduira la paperasse et le nombre de gestionnaires, augmentera la fluidité, la continuité des soins et permettra d’économiser 220 M$. Alors ministre de la Santé, Philippe Couillard faisait les mêmes promesses en 2003 lors de la création des CSSS. Or rien de cela ne s’est produit…
Demande et craintes
L’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) a demandé dans le cadre de la commission parlementaire sur le PL10 un bilan de santé des CSSS depuis leur création. Cette évaluation aurait permis de déterminer ce qu’il y avait à corriger. La réponse obstinée du gouvernement est d’appliquer la même recette en centralisant davantage.
Plusieurs craignent que cette manœuvre cache de véritables intentions de privatisation.
Les partenariats public-privé
Le choix du mode de gestion en partenariat public-privé (PPP) n’était pas une bonne idée au départ. Le coût de ces projets d’infrastructures continuera à plomber les finances publiques encore longtemps. Des économistes indépendants sont clairs : « L’évaluation des cas du CHUM et du CUSM à Montréal nous amène à conclure que l’État québécois devrait mettre un terme aux PPP pour la gestion de ces établissements. Nos hypothèses les plus conservatrices suggèrent que ce choix entraînerait des économies de plusieurs centaines de millions de dollars tandis que les hypothèses les plus réalistes nous amènent à prévoir des économies pouvant atteindre un total de 4 G$.1 »
Les médicaments
L’Union des consommateurs milite depuis longtemps afin que le Québec s’inspire des meilleures pratiques et adopte un régime public universel d’assurance médicaments. Le Dr Jean Rochon, ministre de la Santé au moment de l’implantation du régime d’assurance médicaments actuel, a d’ailleurs déclaré en 2015 « qu’il était temps d’agir » en ce sens. On parle ici d’économie de 1,5 G$ à 3,5 G$, annuellement.
Le dossier informatique
En plus des contrats offerts sans appel d’offres, le projet d’informatisation des dossiers médicaux nous a déjà coûté plusieurs centaines de millions sans amélioration notable de l’organisation des soins et du suivi des patients. Même le Vérificateur général exhorte le gouvernement à redresser la barre.
Les salaires et les conditions des médecins
Depuis les dernières négociations salariales avec les médecins, les sommes consenties pour leur rattrapage salarial grugent une part importante des dépenses en santé, et l’Association québécoise des établissements en santé et services sociaux (AQESS) s’en inquiète.
Le statut de travailleur autonome des médecins pose aussi plusieurs problèmes. Certains médecins tendent à surdiagnostiquer leurs patients, ce qui a pour effet de générer des coûts de systèmes. De plus, comme les médecins ont le loisir de se constituer en personne morale pour éviter de payer leur « juste part » en impôts, leur statut privilégié peut aussi avoir un impact fiscal difficilement justifiable.
Telles sont quelques-unes des inquiétudes du personnel du réseau et les solutions qu’il propose pour récupérer des sommes importantes et maintenir l’universalité et la gratuité des services offerts à la population.
- IRIS, Devrait-on racheter les PPP du CHUM et du CUSM?, octobre 2014, iris-recherche.qc.ca.