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Assignée garçon à la naissance

Par Marc Simard le 2015/06
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Assignée garçon à la naissance

Par Marc Simard le 2015/06

Mouton Noir : Sophie Labelle, vous êtes une bédéiste trans engagée. Qu’est-ce que ça signifie?

Sophie Labelle : L’engagement, pour une personne trans, a une valeur très particulière parce que les personnes trans font souvent partie des groupes les plus marginalisés et stigmatisés de la société. Aussi, le fait d’être trans, c’est-à-dire qu’un sexe d’un autre genre que celui auquel je m’identifie m’ait été assigné à la naissance est quelque chose qui a des répercussions concrètes et importantes dans ma manière d’aborder le monde. Ainsi, faire de l’art en étant transgenre a nécessairement une signification intrinsèquement différente de celle de faire de l’art en étant cisgenre.

M. N. : « Assignation à la naissance », « cisgenre », ce ne sont pas des mots qu’on entend souvent.

S. L. : Ce sont pourtant des concepts essentiels pour permettre aux personnes trans de se réapproprier leur intégrité, que la médicalisation historiquement coercitive a malmenée. Comprendre la « transitude » en termes d’assignation mal avenue d’un certain genre à la naissance permet de « dépathologiser » le fait d’être trans, ce qu’une compréhension médicale de notre existence empêche. Longtemps, et encore aujourd’hui dans plusieurs milieux, on a vu la volonté de transiter d’un genre à l’autre comme un symptôme d’une condition qu’on a appelée « transsexualité ». Cela est nocif à bien des égards parce que ça oblige les personnes trans à cadrer à l’intérieur d’un diagnostic qui, seul, leur permet de recevoir des soins appropriés et une légitimité sur les plans médical, social et légal.

Quant au terme « cisgenre », il désigne les personnes dont le genre assigné à la naissance (de manière non coercitive) correspond à l’identité de genre. Il représente donc le groupe majoritaire. En expliquant le fait que même les personnes qui ne sont pas trans ont une identité de genre, et qu’un genre leur a été assigné à la naissance, on peut mieux comprendre la présence de personnes trans dans notre société comme participant à un même système d’économie des corps que la majorité.

M. N. : Pourquoi mentionnez-vous que les personnes cisgenres ne sont pas associées « coercitivement » à un certain genre à la naissance?

S. L. : Parce que l’expérience du genre coercitivement assigné, que ce soit à l’aide de mutilations génitales ou hormonales à la naissance, à travers l’enfance ou même à l’âge adulte, ou à force de pression sur les parents, est foncièrement différente de l’expérience des personnes cisgenres. Les personnes intersexes, dont les médecins vont considérer le corps comme « ambigu » sur le plan de l’apparence des organes génitaux, seront forcées de participer à un système binaire qui ne leur reconnaît aucune légitimité.

M. N. : Ces mutilations ont encore lieu au Québec?

S. L. : Oui. Encore l’an dernier, des médecins de l’hôpital Sainte-Justine, à Montréal, ont avoué pratiquer ces mutilations sur des enfants. Mais la méconnaissance du public à ce sujet et le pouvoir d’expertise qu’on va d’emblée accorder aux médecins plutôt qu’aux personnes intersexes elles-mêmes font en sorte qu’on n’en parle que très peu.

Illustration : Sophie Labelle

M. N. : Quels seraient les liens à faire entre les enjeux trans et les enjeux intersexes?

S. L. : Ils sont nombreux, et c’est pourquoi un dialogue respectueux entre les différentes communautés est plus que nécessaire. Les violences faites aux personnes trans comme intersexes par les différentes instances détenant une forme de « biopouvoir », qu’on parle du législatif ou du médical, sont faites dans le même esprit « d’économie des corps », pour reprendre les mots de Foucault. Les corps trans et intersexes sont soumis à une observation minutieuse et à une médicalisation qui veut absolument les rendre intelligibles.

M. N. : Vous travaillez beaucoup avec les enfants. Est-ce que ce sont des sujets qui sont faciles à aborder avec eux?

S. L. : Certainement! On oublie trop souvent que c’est au préscolaire et au primaire que les enfants font l’apprentissage le plus intensif des rôles de genre, sur ce que signifie, pour un milieu donné, être une fille ou un garçon. Dans l’enfance, on est soumis à une série de choix identitaires auxquels il est d’une grande importance de donner le plus de latitude possible. Et cela inclut le fait de pouvoir s’identifier en dehors de la sacro-sainte binarité fille-garçon, sans que le corps soit un obstacle à cette identification. Le seul fait qu’il existe des personnes trans devrait être suffisant pour comprendre que ce ne sont pas toutes les filles qui ont une vulve ni tous les garçons qui ont un pénis.

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