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Quel rôle pour la gestion des risques?

Par Emmanuel Guy le 2015/03
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Quel rôle pour la gestion des risques?

Par Emmanuel Guy le 2015/03

Ce texte est publié dans le cahier spécial « Le GRIDEQ 40 ans de partage et de croisement des savoirs » publié pour souligner les 40 ans du Groupe de recherche interdisciplinaire sur le développement régional, de l’est du Québec (GRIDEQ).

Emmanuel Guy est professeur en sciences de la gestion et titulaire de la Chaire de recherche en transport maritime UQAR.

Le Saint-Laurent et ses riverains vivent depuis plusieurs décennies avec le transport de pétrole par navire. Divers projets – en cours ou à l’étude – signalent néanmoins une transformation majeure de cette activité. Il s’agit de nouvelles voies d’acheminement du pétrole extrait de l’ouest du Canada vers l’est du pays et les marchés internationaux. Cette effervescence de propositions industrielles soulève des questions : entre autre celle des risques environnementaux et celles de la cohabitation entre pétroliers et autres usages socio-économiques de notre fleuve.

Le transport par navire est-il sécuritaire? Les impacts d’une marée noire sont immédiats et catastrophiques sur l’écosystème, comme pour les communautés vivant dans les milieux touchés. Les mesures de prévention sont moins connues.

Le premier mur coupe-feu à reconnaître est formé des dispositions des conventions régies par l’Organisation maritime internationale. Les conventions pour la sauvegarde de la vie en mer (SOLAS) et pour la prévention de la pollution par les navires (MARPOL) contiennent une multitude de normes techniques très précises quant à l’architecture des navires et aux caractéristiques des équipements qu’ils sont tenus d’avoir bord. Une de ces dispositions est la double coque obligatoire pour les navires transportant des hydrocarbures.

En plus de ces normes techniques, on a aussi inclus à l’arsenal des conventions internationales des codes de gestion des risques. L’International Satefy Management Code pour la prévention des accidents et l’International Ship and Port Facility Code pour la prévention des actes malveillants (terrorisme, piraterie, commerce illégal, etc.). Ces initiatives imposent une même vision de la gestion des risques : inventorier l’éventail des incidents possibles et leurs causes respectives, évaluer la probabilité que ces incidents spécifiques se produisent, mettre en place les mesures de prévention propres aux incidents potentiels relevés et prévoir des plans d’urgence pour réagir en cas d’incidents réels.

Si des règles précises et exigeantes sont une nécessité, elles ne peuvent être effectives sans un mécanisme permettant de vérifier leur mise en œuvre. En ce sens, le « contrôle par l’État portuaire » systématisé depuis le milieu des années 1990 constitue une avancée significative. Le système permet par exemple aux autorités canadiennes d’inspecter un navire panaméen. Si l’inspection à bord révèle des équipements défectueux ou non conformes, le système prévoit que les inspecteurs doivent détenir le navire au port jusqu’à ce que des correctifs soient apportés.

Le pilotage obligatoire garantit la présence à bord d’un expert des conditions locales en approche des ports. C’est un autre mur coupe-feu essentiel. Ce bref survol, quoique incomplet, démontre qu’un système de contrôle s’est mis en place tant à l’international qu’à l’échelle nationale. Donne-t-il des résultats? Dans les années 1970, on comptait annuellement près de 25 déversements majeurs (plus de 700 tonnes) causés par des navires dans les mers de monde. Depuis le début des années 2000, on ne rapporte plus que deux de ces marées noires par an.

Pour ou contre l’exportation de pétrole via le Saint-Laurent? La recherche en transport maritime permet de rejeter deux idées reçues ayant largement circulé. Première idée reçue : l’encadrement du transport maritime est laxiste dans un contexte largement déréglementé où les compagnies privées fixent les règles. Faux : il existe de très nombreuses normes techniques imposées par les lois et un système de suivi sérieux. Deuxième idée reçue : en investissant dans ce système de surveillance, on arrivera à garantir des opérations sans risque. Faux : un système de gestion des risques permet de réduire la probabilité que des incidents se produisent, mais l’absence de risque est inatteignable. Surtout, la gestion des risques n’offre que peu d’outils pour discuter de ce qui constitue un risque acceptable.

Entre ceux pour qui l’exportation de pétrole est une opportunité de développement économique qu’on doit saisir et ceux qui prônent une refondation de notre économie et un engagement immédiat vers la réduction de notre dépendance au pétrole, il semble difficile d’imaginer mieux qu’un dialogue de sourds. Devant ce cul-de-sac apparent, la tentation est grande de se tourner vers la gestion des risques à la recherche de points de repère pour décider de la marche à suivre. Or, ce n’est que dans l’arène du débat public que peuvent se forger les compromis et les consensus nécessaires à une prise de position collective sur de tels projets. Promoteurs et opposants doivent s’y prêter de bonne foi.

Pour en savoir plus

Guy E. (2013) « Representations and policy change: evidence from the Canadianflag shipping industry » Environment and Planning – A. Vol. 45, no 5 : 1184-1198.

Guy E. et F. Lapointe (2011) Politiques publiques pour le transport maritime sur le Saint-laurent : cohérence des objectifs et mesures, Collection Études et Recherches en Transport, Transports Québec, 125 p.

Cliquez ici pour télécharger la version PDF du cahier.

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