Actualité

Quel type de vision, normative ou adaptative ?

Par Steve Plante le 2015/03
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Quel type de vision, normative ou adaptative ?

Par Steve Plante le 2015/03

Ce texte est publié dans le cahier spécial « Le GRIDEQ 40 ans de partage et de croisement des savoirs » publié pour souligner les 40 ans du Groupe de recherche interdisciplinaire sur le développement régional, de l’est du Québec (GRIDEQ).

Steve Plante est professeur et directeur de l’ARUC-DCC UQAR et Amélie Boisjoly-Lavoie, coordonnatrice de l’ARUC-DCC.

Depuis les grandes marées de décembre 2010, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Un des effets de cette tempête fut de tenter de réduire les effets des changements climatiques en termes d’érosion, d’inondations et de vulnérabilité des infrastructures routières et municipales. Cette attitude est bien légitime, puisqu’une partie de la population bas-laurentienne et gaspésienne est côtière ou riveraine. Cependant, on oublie rapidement d’autres types d’impacts tout aussi importants tels que les préoccupations reliées au potentiel manque d’eau douce, aux conditions propices à l’émergence de maladies forestières ou agricoles ou aux impacts sur l’industrie touristique, pour ne nommer que ceux-là. Dans ce contexte, comment le développement régional peut-il contribuer à renforcer les capacités d’adaptation des communautés?

Devrions-nous adopter une approche strictement normative, tel que le propose l’actuel gouvernement libéral? Dans son Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques (PACC), le gouvernement soutient qu’il faut « lutter » contre les changements climatiques pour renforcer la résilience du Québec. Cela nous fait penser à Don Quichotte qui lutte contre le vent et les moulins à vent. Est-ce à croire que le gouvernement ne comprenne les changements climatiques qu’en termes de diminution des gaz à effet de serre (GES) pour ainsi devenir un leader en réduisant ses émissions de 20 % d’ici 2020? Bien que la dimension « atténuation » soit effectivement importante, les conséquences seront telles que même en retournant à la marche à pied, nous en aurions pour des centaines d’années avant de revenir à un « équilibre ». Il faut donc, en plus, développer des stratégies d’adaptation face aux transformations en cours et à venir de nos milieux de vie.

Ce même gouvernement se proclame dans « l’action » en retenant une citation du Rapport Stern (2008) sur les coûts de l’inaction : « Il est déjà évident que les risques économiques de l’inaction face aux changements climatiques sont très graves […] et que les bénéfices émanant d’actions musclées et précoces l’emportent sur les coûts… et doivent être perçus comme des investissements […] Si ces investissements sont faits avec sagesse, les coûts seront gérables et il y aura un grand éventail de possibilités pour la croissance et le développement en cours de route. » (Gouvernement du Québec, 2012:5). Par contre, lorsque « les bottines ne suivent pas les babines », on est dans le trouble. À titre d’exemple, le gouvernement abolissait récemment des postes de biologistes en charge du suivi des espèces envahissantes en milieu côtier. Cette coupe semble étrangement aller dans la direction opposée de sa « vision » en matière de production de connaissances face aux effets des espèces envahissantes, tant marines que terrestres, pouvant avoir des répercussions sociales, financières et biologiques désastreuses pour le Québec, les régions, les municipalités et les individus.

Par ailleurs, l’État semble réduire le phénomène de l’érosion des zones côtières à un ensemble de questions physiques, biophysiques ou écosystémiques, toutes aussi fascinantes et pertinentes les unes que les autres, mais qui évacue malheureusement les questions sociales et d’occupation du territoire plus larges que la simple approche « client » qui prévaut actuellement lors des sinistres. Un « cadre normatif » a bien été élaboré, mais, étrangement, personne sur le terrain n’est réellement capable de l’expliquer ni de l’appliquer. On assiste donc à une grande incertitude quant à la vision gouvernementale, ce qui génère un flou artistique en matière de planification territoriale, puis contribue à freiner les actions d’adaptation (en attente de cartes précises et de connaissances dites scientifiques) en plus de devenir un facteur supplémentaire de dévitalisation des communautés. Ici, bien que l’État travaille « pour » certaines municipalités, il ne travaille que très rarement « avec » elles.

En développement régional, nous considérons que la résilience devrait être adaptative et « coconstruite » avec les acteurs concernés. Alors seulement il sera question de capacité des communautés à revenir à un état viable après une crise ou un choc, reposant sur l’apprentissage des expériences sociales (et non pas seulement sur un plan des mesures d’urgences), sur l’intégration des connaissances (du savoir scientifique mais aussi du savoir local), et sur l’anticipation des changements tout en respectant le temps nécessaire aux individus et le temps des phénomènes. L’idée ici étant non pas de donner de l’argent (bien que…) aux communautés pour se protéger et s’adapter, mais surtout de leur donner des structures d’accompagnement et d’engagement pour que le citoyen ne soit plus considéré comme le problème, mais comme une partie intégrante de la solution d’adaptation respectant ceux et celles qui vivent ces changements.

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