Actualité

Quand la perception des risques ne suffit pas!

Par Geneviève Brisson le 2015/03
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Quand la perception des risques ne suffit pas!

Par Geneviève Brisson le 2015/03

Ce texte est publié dans le cahier spécial « Le GRIDEQ 40 ans de partage et de croisement des savoirs » publié pour souligner les 40 ans du Groupe de recherche interdisciplinaire sur le développement régional, de l’est du Québec (GRIDEQ).

Geneviève Brisson est professeure, département Sociétés, territoires et développement UQAR.

Les projets dits de développement, qu’ils soient liés à des industries ou à des infrastructures, ne s’implantent pas dans une terra nullius. Ces projets prennent place dans des territoires socialement construits, chargés d’histoire, d’utilisations, de symbolisme, et organisés par des liens communautaires, administratifs, légaux. Leur implantation entraîne nécessairement des changements sur tous ces plans. On peut penser par exemple à un tracé d’autoroute qui coupe des terres agricoles en deux et modifie du coup les pratiques agraires, aux sentiers de VTT et aux règles d’accès à certains espaces, ou alors à une mine à ciel ouvert comme à Malartic (Abitibi), dont l’implantation a entraîné le démembrement d’un quartier, du bruit, des poussières, un changement de zonage, mais aussi des conflits au sein de la communauté qui, à son tour, a modifié l’implication bénévole et politique. Aussi est-il normal que l’annonce d’un projet génère des rêves et des préoccupations, qui se modulent différemment selon le rôle et les intérêts de chacun. Étudier ces situations peut en faire apprendre beaucoup sur les dynamiques entre les acteurs, et c’est ce que plusieurs travaux associés aux grands projets de développement permettent de réaliser.

Au Québec, la procédure d’évaluation environnementale issue de la Loi sur la qualité de l’environnement permet d’anticiper les effets positifs et négatifs des projets de développement d’envergure. Notamment, la possibilité que surviennent des conséquences négatives par les activités générées par le développement doit être soupesée par le promoteur du projet avant d’obtenir l’autorisation de passer à l’action. Toutefois, il arrive que l’analyse des experts embauchés pour ces évaluations diffère de celle de la population locale quant aux risques. C’est souvent à ce moment qu’on voit poindre le terme de « perception de risques ». Est-il utilisé à bon escient ?

L’analyse de situations récentes relayées par les médias, telles que le gaz de schiste, les hydrocarbures à Anticosti ou les mines à ciel ouvert, permet de constater que la notion de perception des risques est souvent comprise et utilisée de façon très étroite. La « perception » peut alors dévaloriser toute position critique à l’endroit d’un projet. Dans le discours des tenants d’un projet, les citoyens préoccupés seraient subjectifs et « percevraient » des risques pour des sujets où les spécialistes demeurent plus confiants.

Pourtant, l’approche constructiviste portée par les sciences sociales établit que la perception des risques est un processus inhérent à tout être humain, qui perçoit et interprète ce qui l’entoure à partir de son bagage personnel : ses connaissances, ses expériences, ses valeurs, sa position sociale, etc. Ainsi, chacun possède une perception des risques liés à une situation, l’expert évaluant les impacts tout aussi bien qu’un citoyen. Cependant, la perception de chacun ne sera pas la même, car chacun n’est pas le même!

Pour l’instant, diffuser davantage l’information produite par le promoteur et ses spécialistes est souvent présenté comme une solution pour « guérir » la perception des risques que peuvent avoir des citoyens. Cependant, cette avenue ne semble pas régler la majorité des controverses récentes sur les projets; au contraire, les inquiétudes demeurent et les positions de chacun se cristallisent, alimentant souvent les conflits. Lorsque les risques ne sont pas perçus de la même façon par toutes les parties prenantes à un projet, il serait plutôt souhaitable de créer un espace de dialogue pour que puissent s’exprimer des points de vue différents, certes, mais méritant tous qu’on leur accorde un intérêt. Des conditions pour permettre des échanges équitables entre chacun sont requises, ainsi que la capacité d’influencer ensuite les décisions. Cette approche mène bien plus loin que d’opposer les perceptions à l’expertise!

Enfin, il demeure que, fondamentalement, tout projet de développement entraînera des effets sur la communauté et les individus à proximité, que ces changements soient positifs ou négatifs. Se préoccuper des perceptions de la population ne suffira jamais à bien gérer ces impacts, et il demeure nécessaire d’élargir le champ des évaluations sociales associées aux projets de développement pour mieux comprendre et mieux prévenir les impacts sociaux, que des préoccupations et des perceptions soient ou non présentes à leur sujet.

Pour en savoir plus

Marchand D., Brisson G. et S. Plante (2014) « L’apport des sciences sociales à la gestion de problèmes environnementaux » dans Weiss, K. et D. Marchand (dir.) Regards croisés de la psychologie environnementale, Paris: Éditions In Press. 25 p.

Bouchard-Bastien E., Brisson G. et D. Gagné (2014) Guide de soutien destiné au réseau de la santé : l’évaluation des impacts sociaux en environnement, Québec : INSPQ.

Cliquez ici pour télécharger la version PDF du cahier.

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