
Il me plaît de penser qu’on connaît tous Éric Normand. Toutefois, peu connaissent toutes ses identités. Sa patère porte sans contredit plusieurs chapeaux, celui de musicien et celui d’auteur-compositeur-interprète et, à ses heures, celui de concepteur d’instruments.
Natif de Mont-Joli, il est le cadet d’une famille de trois garçons. Ses parents travaillent dans l’enseignement de l’éducation physique et du français : « un esprit sain dans un corps sain », ajoute l’énigmatique en riant. La pratique artistique s’est propagée dans la fratrie. Le premier frère est compositeur en plus d’enseigner la musique, alors que l’autre est comptable et guitariste.
La règle « il faut apprendre à marcher avant de courir » ne s’applique manifestement pas à Éric Normand : « Vers 12 ans, je commence à avoir des groupes de musique très absurdes, alors que je ne sais pas vraiment jouer de batterie. » De plus, il dessine, ce qui lui donne plutôt l’air d’un enfant sage qui s’occupe. L’adolescent n’a pas fait de fracassant coming out du genre : « Papa, je suis un artiste. » « Comme je n’entrevoyais pas l’ombre d’une possibilité de suivre la voie artistique, je n’avais pas de grande annonce à faire, sinon prof ou quelque chose comme ça. »
Au cégep, l’histoire et la géographie l’ont intéressé, mais un professeur a entraîné un changement : « J’ai eu Paul Fortier comme prof de littérature et il a su me transmettre sa passion des mots. J’ai donc fait mon bac en lettres. » Il avoue que, pendant ces années, il a beaucoup lu et écouté énormément de musique, plus qu’il ne l’a fait depuis.
Éric Normand admire les musiciens improvisateurs : « Ils passent leur vie à affirmer la force et la beauté de la liberté et du dialogue et proposent un modèle de vivre ensemble basé sur la co-création, un modèle où personne n’imite ou ne se soumet. » En tant qu’amateur de jazz, il apprécie les interprètes qui sortent des sentiers battus. S’il se réjouit du fait qu’ils sont nombreux, il se désole du peu de visibilité qu’on leur accorde. En chanson, il cite le perfectionniste Ricet Barrier, qui ne néglige aucun aspect de sa musique, des textes et des arrangements. Il considère le Britannique Robert Wyatt comme le plus grand auteur de chansons et louange le Brésilien Tom Zé pour avoir réinventé son folklore. Jacques Higelin est pour sa part mentionné à titre d’interprète.
Lorsqu’on le questionne sur son instrument de prédilection, Éric répond : « instrument de malédiction, tu veux dire! » Sa curiosité l’a amené à tenter sans succès le saxophone. Il s’est plus tard improvisé bassiste, en raison d’un poste vacant laissé par un ami, ce qui fut le début d’une relation d’amour-haine avec le morceau de bois à grosses cordes. Ses limites le frustraient, et il enviait les expressifs souffleurs et les pianistes plus outillés. L’armistice a été signé lorsqu’il a décidé de créer son propre instrument. Heureusement le banjo s’est fait plus facile. Il en a acquis un au hasard d’un voyage dans le New Jersey grâce à une négociation qu’il a remportée contre un brocanteur. « C’est à partir de là que j’ai recommencé à faire des chansons. »
Éric Normand se définit comme un créateur, principalement sonore, disponible aux diverses expériences de la vie. « J’utilise depuis longtemps le terme d’artiste épidisciplinaire. C’est à la fois une boutade et un détour pour expliquer que, pour moi, les catégories n’ont plus de sens. »
L’absurdité des choses et l’amour des mots sont ce qui l’inspire : « J’ai toujours été un grand amateur de chansons. J’en avais écrit plusieurs il y a 15 ans. […] Après le printemps 2012, je trouvais que les mots étaient charriés, vidés de leur sens, puis c’est allé de pire en pire. » En fait, c’est en tentant d’apprivoiser son banjo qu’il s’est mis à chanter des slogans… et des bêtises.
Le peaufinage et le travail d’Éric Normand donnent l’album Bravades composé de textes simples et synthétiques jumelés à une musique dépouillée comme le ferait « un gars qui commence à apprendre le banjo ». L’artiste travaille déjà sur de nouvelles chansons qu’il dit plus sérieuses et nuancées.
Bravades est disponible depuis le début mars.