Je parie mon panier d’épicerie que, dans le cœur des lectrices et des lecteurs du Mouton Noir, s’accumulent des indignations presque identiques aux miennes. Ne sommes-nous pas toutes et tous écoeurés de subir la détérioration progressive et implacable de notre système social, de voir voler en éclats nos acquis sociaux si durement obtenus, d’encaisser les discours débilitants et soporifiques des représentants du pouvoir? Ne sommes-nous pas fatigués de nous faire prendre pour des ignares? Car nous savons bien que la parole du peuple n’est pas écoutée, malgré l’abondance de vox pop, de sondages d’opinion et de consultations diverses. À travers cette cacophonie, la parole citoyenne devient inaudible, et si d’aventure son expression est recueillie, elle se verra vite utilisée et instrumentalisée par les gens au pouvoir, ainsi que par celles et ceux qui cherchent à gravir les échelons de la hiérarchie, ces pros de l’escalade sociale. Les citoyennes et les citoyens sont bâillonnés, enfermés dans un monde de repli sur soi, de consommation et de culture de masse. Le pouvoir du peuple devient « presque » inexistant. Mais n’est-ce pas justement dans la brèche ouverte par ce « presque » que pourraient se nicher les lieux de résistance?
Dans le contexte d’austérité que nous subissons, il existe fort heureusement des groupes de pression qui s’opposent, hardiment et dans l’urgence, aux violences budgétaires mises en place au détriment des régions. Mais, parallèlement à ces mouvements nécessaires, est-il encore possible de créer un lieu accueillant et volontiers lent, où la « simple citoyenne », où le « simple citoyen » peut énoncer ses indignations, partager ses rêves, proposer ses solutions et formuler ses exigences? À cette question, un groupe d’artistes professionnels impliqués dans la MRC des Basques, petite colonie de fourmis travaillantes et délirantes, répond par l’affirmative. Pour ces artistes, l’art communautaire peut briser le silence, agiter les neurones et stimuler le débat. Certes, leurs actions exigent de la patience, de la confiance et aussi un bon grain de folie car, une chose est certaine, jamais ce groupe n’aura les moyens de ses intentions. Alors que les gouvernements coupent déjà à tour de bras dans la Culture avec un grand C, nous pouvons imaginer le soutien qu’ils seront prompts à accorder à une culture se voulant d’emblée populaire, critique et rassembleuse. L’Unité théâtrale d’interventions locales (UTIL) poursuit sa mission envers et contre tout. Joignant « l’UTIL » à l’agréable, elle avance, portée par quelques certitudes, dont celle de s’enraciner dans le tissu social en créant des alliances avec les nombreux organismes sociaux du milieu et en s’adressant aux citoyennes et aux citoyens de toutes les conditions sociales. La parole citoyenne est énoncée et assumée par celles et ceux qui sont directement concernés. Aucun intermédiaire ne se donne ici le droit de parler au nom des autres. À UTIL, la démocratie culturelle est non seulement possible, mais réjouissante. L’action repose sur le constat que, lorsqu’un individu prend la parole et participe à un processus de création collective, il développe sa créativité, son audace, son imagination, tout en reprenant confiance dans la force du collectif. Trop beau pour être vrai? Eh bien non, car depuis plusieurs années déjà, UTIL laboure et sème la culture populaire dans la riche terre bas-laurentienne. Cette année, une agora citoyenne réunira cinq organismes du milieu autour d’un thème on ne peut plus d’actualité : les petits et les grands pouvoirs. Ainsi une vingtaine de citoyennes et de citoyens, de 8 à 108 ans, participeront à une création collective intégrant théâtre, écriture, chanson et vidéo. Pour permettre à chaque groupe de construire une scène « qui lui ressemble », les artistes professionnels d’UTIL offrent depuis février, et ce jusqu’en avril, des ateliers de création. De ce bouillonnement créatif et pluriel naîtra une forme unique qui correspondra à l’expression complémentaire des collectifs.