Champ libre

Le dandysme ressuscite

Par Geoffrey Lain le 2015/03
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Champ libre

Le dandysme ressuscite

Par Geoffrey Lain le 2015/03

Comment décrire le personnage de Father John Misty? Alter ego énigmatique et désinvolte de Joshua Tillman, musicien multi-instrumentiste qui au fil de sa discographie nous a gratifiés d’une musique folk subtile et épurée.

J. Tillman a grandi dans le Maryland, dans un milieu évangélique conservateur au sein duquel la musique laïque était interdite. Il trouva ses premières influences dans les chansons de Bob Dylan que sa famille considérait comme un artiste chrétien. À 33 ans, l’artiste est maintenant reconnu pour sa collaboration avec les Fleet Foxes, groupe folk basé à Seattle, ainsi que pour une carrière solo par laquelle il a su faire sa place sur la scène folk alternative.

Avec les huit albums sortis sous le nom de J. Tillman, dont les excellents Singing Ax et Year in the Kingdom, l’artiste a su amener le folk dans des territoires épurés où le silence fait la part belle à des compositions guitare-voix minimalistes. Mais c’est sous le nom de Father John Misty et grâce au succès de Fear Fun sorti en 2012 que J. Tillman a enfin atteint un succès critique et commercial. Méconnaissable, il a troqué son poncho de hippie contre un smoking de dandy, ses métaphores bibliques contre un sens de l’humour caustique et sa guitare nue contre le support de tout un groupe de rock’n’roll. Le tour fut joué : médias et grands festivals à la clé.

En ce sens, I love you, Honeybear, paru le mois dernier sous l’étiquette Sub Pop était attendu comme le messie. Après le triomphe de son précédent opus, le père Misty devait répondre à de grandes attentes de la part du public. A-t-il encore su séduire sa paroisse?

L’album s’ouvre sur la chanson titre qui donne un aperçu de la teneur du disque : des arrangements de cordes impeccables sur une composition simple et lumineuse contrastent avec des paroles qui ne dérogent pas au cynisme de l’artiste. C’est d’ailleurs ce contraste qui sert de ligne conductrice au nouvel opus. Ainsi, « I love you, Honeybear » n’est – presque – pas la chanson d’amour mièvre à laquelle on pourrait s’attendre, mais une fresque claire obscure de la vie à deux, où se côtoient sans complexe les thèmes de l’aliénation mentale et de l’amour inconditionnel.

À l’écoute de « True Affection », troisième pièce, l’album prend un virage électronique indie-pop pour le moins déconcertant. Transgression sauvage de l’identité de l’album, démagogie radiophonique ou ironie assumée? Quoi qu’il en soit, il faut reconnaître l’art de notre hôte à cultiver la provocation. Tendance qui aboutira à la fin de l’album au merveilleux « Bored in the USA », clin d’œil, vous l’aurez compris, au célèbre hymne de Bruce Springsteen dans lequel Father John Misty traite du non-sens de la société américaine : un pur bijou d’insolence.

« C’est lorsqu’il parle en son nom que l’homme est le moins lui-même. Donnez-lui un masque et il vous dira la vérité. » Voici un trait d’esprit d’Oscar Wilde, dandy des dandys, qui se prête particulièrement bien à l’écoute de cet album où le sarcasme de Father John Misty cohabite avec un dévoilement qu’on avait perdu depuis Fear Fun. Certes, l’album manque çà et là de cohérence, mais il se présente néanmoins comme un album accessible, facile d’écoute et richement travaillé. I love you, Honeybear se fera facilement une place dans votre sonothèque pour peu que vous soyez sensibles à ses charmes. Élégant, irrévérencieux et d’une classe à tout rompre, Father John Misty prêche la bonne parole. Amen!

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