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Le choix de l’auto-exclusion sociale

Par Mario Paquet le 2014/11
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Le choix de l’auto-exclusion sociale

Par Mario Paquet le 2014/11

Au matin de ma trentaine, j’ai entrepris un retour aux études supérieures en sociologie à l’Université du Québec à Montréal. J’avais jusque-là connu la précarité d’emploi propre à la génération X, mais je m’en accommodais quand même bien, travaillant exclusivement dans les milieux communautaires et militants depuis le milieu des années 1980, allant d’un programme d’employabilité à l’autre, de Vancouver à Montréal en passant par Ottawa.

Mon retour aux études n’était pas lié au besoin d’améliorer mon employabilité, car je ne cherchais surtout pas à contribuer plus que je ne le faisais déjà à cet « incontournable » marché du travail. Je cherchais plutôt à acquérir une base méthodologique et des outils d’analyse pour mieux comprendre le fait social dans sa diversité, sa complexité et poursuivre cette quête de sens qui m’animait depuis l’enfance. Et si je trouvais en cours de route le moyen de m’exclure de ce sacro-saint marché, tant mieux.

Pendant les 18 mois qu’a duré mon aventure universitaire, j’ai étudié la socio et milité pour la gratuité scolaire et la représentation étudiante dans les instances administratives décisionnelles. J’ai aussi été le dernier agent de liaison de la défunte Association nationale des étudiantes et étudiants du Québec (ANEEQ), qui s’est éteinte peu après mon départ en mars 1993.

Parfois, je regardais dehors où je circulais sur Sainte-Catherine en m’interrogeant sur le phénomène des sans-abri, cette forme d’exclusion extrême encore si incomprise. Je me rappelais mon rêve de bohème d’adolescent en me demandant non seulement s’il m’aurait mené là, mais surtout si je m’en serais porté plus mal.

Treize ans plus tôt, j’avais joint la classe ouvrière sans grande conviction, cédant à la forte pression de mon entourage, qui semblait se satisfaire de ce que je percevais comme une forme d’esclavage. Comme je n’avais pas encore vécu cette expérience, je me devais de le faire en toute bonne foi avant de rejeter totalement le monde du travail.

J’ai tout de même cherché à l’améliorer, ce monde, au fur et à mesure que je le comprenais mieux. Au bout du compte, je me suis retrouvé brûlé, désabusé et démoralisé par la presque impossibilité de changer ce système de l’intérieur. Je devais en sortir. Je devais permettre à mon être, devenu mature et responsable, de vivre son rêve d’adolescent mis sur les tablettes si longtemps.

Une nuit, à la veille d’un déplacement de trois jours à Québec pour mon travail, j’ai fait le vide dans mon esprit, trop plein des préoccupations des autres et des trop nombreuses embûches à la liberté d’être et à la justice sociale. Au petit matin, comme sortant d’une longue transe, j’avais pris ma décision. J’ai fait mes bagages avant de me rendre au terminus et de prendre l’autobus pour… Toronto.

Et si je trouvais en cours de route le moyen de m’exclure de ce sacro-saint marché, tant mieux.

Je n’ai prévenu personne de mon revirement. Ma famille m’a fait porter disparu, mais mes camarades se doutaient que j’avais fait un choix, celui de m’exclure. Quelques mois à Toronto, un an en Colombie-Britannique, quelques mois de plus à Toronto et un an et demi en Californie, voilà les grandes lignes des trois années qui favorisèrent la guérison du mal à l’âme qui m’habitait depuis l’enfance.

Durant ces trois ans, j’ai observé, écouté et accompagné des gens et des groupes marginaux, contre-culturels et exclus. J’ai pu apprendre à me débrouiller par des moyens autres sans compromettre mes valeurs, en m’incluant dans la grande famille des bizarres, des parias, des libres-penseurs affranchis, des nomades modernes.

Ayant trouvé le chemin de mon bonheur, j’ai pu revenir rassurer mes proches et passer quelques mois à renouer les liens avant de reprendre la route. Car la route, la rue et l’espace public allaient désormais être le berceau de mes aspirations et de mes rêves, la tribune de ma libre expression et mon principal lieu de vie.

Par la force des choses, j’ai dû à maintes reprises défendre mes droits et faire valoir mon choix de vie et ma liberté, sans toujours réussir, mais sans jamais démordre de ma conviction qu’il nous faut nous exclure d’un système pour nous « inclure » dans des solutions de rechange ou dans son abolition. Rien ne sert de chercher à améliorer le système, il montre qu’il ne peut qu’empirer.

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